Ces Idées Reçues Historiques Qui Ont La Vie Dure

A force de déterrer des épisodes méconnus de l’Histoire, on oublie parfois de chasser les fausses vérités qui sommeillent en nous… Détour hors-piste à la poursuite des idées reçues historiques les plus répandues.

Christophe Colomb a découvert l’Amérique. Les vikings portaient des casques à cornes. Hitler était végétarien… Autant de lieux communs que nous avons aujourd’hui sagement assimilés, par paresse curieuse ou manque d’information. L’Histoire regorge de ces raccourcis de pensée, parfois si bien ancrés qu’il est difficile de les déloger de nos cerveaux ! Voici une petite sélection rangée par ordre chronologique, à laquelle nous nous efforcerons de tordre le cou.

Numérobis avait tout faux

C’est un syndrome très français : Astérix et Obélix ont un peu brouillé les frontières de notre culture antique. Lors de leur périple en Égypte, les deux moustachus partagent le quotidien des ouvriers-bâtisseurs : ces derniers sont maltraités, brimés, réduits à l’état de simples instruments de travail. De fait, notre mémoire collective a intégré l’idée que les travailleurs égyptiens étaient des esclaves qui subissaient les pires traitements. En réalité, historiens comme archéologues ont découvert que les chantiers égyptiens étaient à la pointe du droit du travail : les ouvriers étaient libres, bien payés, et il leur arrivait même de se mettre en grève pour réclamer des droits supplémentaires ! Sur le chantier colossal de la Pyramide de Khéops (la seule merveille du monde antique encore debout), des centaines d’ouvriers cessèrent le travail pour protester contre la diminution de leurs rations d’ail… et ce, quatre mille ans avant le droit de grève !

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Bas-relief de la tombe de Rekhmirê, Thèbes. (Source: Center for Online Judaic Studies)

Néron, mélomane pyromane ?

Néron, un empereur de Rome particulièrement charmant (il fit assassiner sa mère cinq ans après sa prise de pouvoir), est accusé d’avoir joué du violon tandis qu’un incendie ravageait Rome. En l’an 64 de notre ère, pendant un été particulièrement torride, des flammes gigantesques dévorent la cité : deux tiers de Rome partent en fumée ! Selon l’historien latin Suétone, « [Néron] regardait ce spectacle du haut de la tour de Mécène, charmé, disait-il, de la beauté de la flamme, et chantant la prise de Troie, revêtu de son costume de comédien » (Vie de Néron, 38).

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Hubert Robert, L’incendie de Rome, v. 1771. (Credit: MuMa Le Havre, Domaine public)

Selon un autre récit, plus vraisemblable, Néron était absent de la capitale lorsque l’incendie se déclara ; aussitôt informé, il se dépêcha de rentrer pour organiser les secours. Quoiqu’il en soit, Néron n’a sans doute jamais joué du violon durant l’incendie, pour la simple et bonne raison que l’instrument n’existait pas encore – il faudra attendre le 11ème siècle pour le voir apparaître. Cette idée reçue est sans doute une des premières fake news politiques de l’Histoire, visant à discréditer l’homme le plus puissant du moment !

Les vikings, pas si épiques…

Barbu, solidement bâti, courageux et coiffé d’un casque à cornes : voilà comment nous nous représentons le guerrier viking par excellence. Oubliez toutefois le dernier élément de cette panoplie : aucune gravure, aucun témoignage écrit, aucune découverte archéologique n’a jamais corroboré l’existence de casques à cornes dans l’équipement des combattants scandinaves. C’est sans doute à la fin du 19ème siècle que nous nous sommes forgés cette image, grâce aux opéras de Richard Wagner inspirés de la mythologie nordique.

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Les vikings ressemblaient plus vraisemblablement à cela (ce qui n’est pas moins effrayant). Diorama exposé au Musée Archéologique de Stavanger, Norvège. (Photo: Wolfmann via Wikipedia, CC BY-SA 4.0)

De même, les vikings n’allaient pas jusqu’à trinquer avec les crânes de leurs ennemis. Cette méprise est basée sur une erreur de traduction de la poésie scaldique, qui a confondu les cornes d’animaux dans lesquelles la boisson était versée et les crânes humains. « Bientôt nous boirons de la bière dans des branches recourbées de crânes » se réjouit le Chant du Cygne de Lodbrok (Ode de Kraka, XXV), évoquant en réalité les cornes de vache ou de chèvre. En revanche, les archéologues ont déterré un grand nombre de crânes humains utilisés en tant que récipients datant de périodes préhistoriques plus lointaines… Quand on dit que l’alcool monte à la tête !

Le Moyen Âge, mouton noir de l’Histoire

Des allées sales encombrées de déjections, des mises à mort à chaque coin de rue, et l’Inquisition qui torture à tour de bras… Voilà à quoi ressemble le Moyen Âge dans la conscience populaire. Même l’appellation « Moyen Âge » semble négliger l’importance de cette époque historique, la reléguant au rang d’âge moyen, intermédiaire, pris en étau entre l’Antiquité et la Renaissance. D’ailleurs, le terme de « Renaissance », qui évoque la résurrection de l’antique (dans les arts notamment) suppose sa mort pendant le Moyen Âge ! Vous pouvez jeter ces clichés aux oubliettes : l’époque médiévale est une période d’intense progrès, certes entrecoupée de guerres et d’épidémies, mais décisive dans l’histoire de l’humanité. La division du travail, l’ouverture des routes commerciales, le développement de la scolarisation (notamment dans les monastères) et l’explosion des arts contrebalancent la vision d’une époque sombre et arriérée.

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Ce manuscrit du 14ème siècle illustre le déroulement d’un cours médiéval. Il n’a pas fallu attendre l’époque moderne pour que les étudiants dorment en classe…

Colomb a (re)découvert l’Amérique

Nous touchons là au sacro-saint Graal des idées reçues : « Christophe Colomb a découvert l’Amérique ». Cette contre-vérité est tellement ancrée dans la culture collective que la date 1492 sert de charnière historique, fermant le Moyen Âge et ouvrant l’Époque Moderne. Pourtant, l’explorateur italien n’a pas été le premier voyageur à poser le pied en terre américaine. Des expéditions viking l’ont sans aucun doute précédé dès le 10ème siècle, avec le voyage mémorable d’Erik le Rouge. Des fouilles archéologiques réalisées sur l’île de Terre-Neuve (actuel Canada) ont révélé les restes d’un campement viking d’époque. Coup de grâce à la postérité de Colomb : les Scandinaves auraient même été devancés par un moine irlandais ! Selon la légende, un certain Brendan de Clonfert pourrait avoir été le premier Européen à découvrir le continent américain, entre les années 530 et 550. Si on ajoute à cela la bévue de Colomb qui a été de prendre l’Amérique pour les Indes, on se demande pourquoi son nom continue de perdurer dans les manuels scolaires…

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Les drakkars ont sans aucun doute jeté l’ancre en Amérique avant les goélettes de Colomb. (Peinture: Carl Rasmussen, 1875 via Wikipedia/Domaine public)

La Bastille : carnage au nom de la liberté

Le 14 juillet 1789 marque le début non-officiel de la Révolution Française. Tout commence par un échange resté célèbre : à son réveil, Louis XVI s’inquiète des cris de la rue, et questionne le Duc de la Rochefoucauld : « C’est une émeute ? » « Non, Sire, c’est une Révolution » lui répond le grand maître de sa garde-robe. Quelques heures plus tard, la foule s’est armée de fusils et prend d’assaut la Bastille, prison tristement célèbre du faubourg Saint-Antoine. On s’imagine que les révolutionnaires brisent les chaînes de centaines de détenus, mus par un idéal fraternel… Alors qu’en réalité, seules sept personnes étaient « embastillées » au moment des faits – quatre faussaires, deux fous et un débauché !

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La Prise de la Bastille : image d’Épinal. Estampe signée H. Jannin, Musée de la Révolution Française. (Source: Wikipedia, CC BY-SA 4.0)

Au-delà de cette maigre moisson, la journée est marquée par les exactions : les révolutionnaires avaient promis de laisser la vie sauve aux soldats, ce qui ne les empêche pas de massacrer le Marquis de Launay, gouverneur de la Bastille, et de promener sa tête au bout d’une pique à travers Paris. Non, le 14 juillet n’était certainement pas une journée d’héroïsme : mais c’est celle qui a vu vaciller un symbole, prélude à la chute annoncée de la monarchie française.

Napoléon prend de la hauteur

Parmi les caractéristiques principales de Napoléon, on se souvient surtout de sa petite taille. Pourtant, l’Empereur mesurait 1,69m, ce qui était dans la moyenne supérieure de l’époque. D’où vient ce mythe qui perdure encore de nos jours ? Côté français, il est vrai que Napoléon était souvent entouré de gardes du corps ou de hussards musculeux, ce qui a pu donner cette impression. D’ailleurs, ses hommes le surnommaient affectueusement « le Petit Caporal ». Côté anglais, on prit un malin plaisir à le ridiculiser et à le caricaturer en nabot, afin d’écorner son prestige, toujours vivace malgré son exil à Sainte-Hélène. Une erreur de conversion entre pouces anglais et français, des unités de mesure bien différentes, n’est pas à exclure non plus… Quoiqu’il en soit, Napoléon a bien sa place au panthéon des grands hommes de l’Histoire – dans les deux sens du terme.

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Cette caricature parodie Les Voyages de Gulliver de Jonathan Swift : Napoléon y est représenté sous les traits d’un nain faisant face au roi George III. (Credit: James Gillray, 1803 via MET)

Adolf, finis tes brocolis !

Ainsi va la croyance populaire : Adolf Hitler, l’un des plus grands bouchers de l’Histoire, était végétarien. Cette affirmation est habituellement utilisée pour discréditer les mangeurs de soja aux convictions parfois envahissantes… Mais est-elle seulement véridique ? Le chancelier allemand se nourrissait quasi-exclusivement de légumes, en effet, ainsi qu’en témoigne le reste de l’état-major nazi, souvent assis à la même table. Même les goûteurs du Führer se souviennent des plâtrées d’asperges et de verdure qu’ils devaient avaler afin de s’assurer que la nourriture n’était pas empoisonnée. Cependant, ce régime ne résultait pas d’un choix éthique, mais du conseil de son médecin ! Hitler était sujet aux maux d’estomac et aux flatulences chroniques, et suivait donc un régime à base de légumes verts… Ce qui ne l’empêchait pas de mordre de temps à autre dans une saucisse ou un pigeon rôti, dont il raffolait !


Bibliographie

  • Eric Cline, Trois pierres c’est un mur… Une histoire de l’archéologie (2018), CNRS.
  • Pierre Monteuil, Fausses vérités et vrais mensonges de l’Histoire (2016), Jourdan.
  • Suétone, Vie de Néron (1983), traduction française de M. Cabaret-Dupaty, Paris.
  • John Loyd & John Mitchinson, The Book of General Ignorance (2006), Faber&Faber.
  • Claude Quétel, L’histoire véritable de la Bastille (2006), Larousse.
  • History Staff, “Did Nero really fiddle while Rome burned?” History.com, 20/11/2012.
  • Sarah Pruitt, “6 Reasons The Dark Ages Weren’t So Dark” History.com, 31/5/2016.
  • Robert Wilde, “Was Napoleon Bonaparte Really Short?” ThoughtCo, 22/10/2019.