Les Trahisons Les Plus Célèbres de l’Histoire

Coups de poignard dans le dos, désertions, magouilles diplomatiques, infidélités, vente de secrets à l’ennemi… Les traîtres ont souvent infléchi le cours de l’Histoire, troquant leur intégrité contre le pouvoir, l’argent ou la reconnaissance. La preuve avec cette sélection (subjective) des pires traîtrises de l’humanité.

Selon les Évangiles, c’est par un baiser que Judas livre Jésus aux gardes du Sanhédrin. Ce coup de poignard dans le dos, le plus célèbre de la culture chrétienne, révèle à quel point l’impératif de fidélité est cousu dans nos valeurs : bafoué, il engendre des crises sans précédent. Trahir son roi ou sa religion, au Moyen Âge, est puni par une lente agonie sur l’échafaud. Déserter la bataille conduit au peloton d’exécution. Les femmes adultères, autrefois lapidées, sont plus souvent exposées aux quolibets de la rue ; jusqu’à la Renaissance, il n’est pas rare de les voir exécutées.

BAISER EMPOISONNÉ. Comme il y a un péché originel, il y a une trahison originelle – celle de Judas Iscariote, qui livra Jésus à Ponce Pilate. Ne désigne-t-on pas aujourd’hui un traître comme un « judas » ? (Illustration: L’Arrestation du Christ par Caravage, 1602/Wikipedia)

ÉPHIALTÈS DE TRACHIS

C’est une bataille devenue légende : en 480 avant notre ère, les redoutables légions perses de Xerxès envahissent la Grèce. Face à elles, les cités-états grecques se sont alliées – enfin, la petite majorité qui ne redoute pas le courroux de Xerxès… Cela s’entend : le souverain achéménide rumine encore la défaite de son père à Marathon, et prépare depuis dix ans ses plans d’invasion. On murmure qu’il marche à la tête d’un million d’hommes. Une estimation enflée par la légende, même si le contingent perse comprend tout de même entre cent et cent-cinquante mille lances. Les Grecs, quant à eux, ont rassemblé sept mille soldats.

Malgré leur nombre, les Grecs parviennent vaillamment à entraver la progression des Achéménides. Menés par le roi Léonidas de Sparte, ils attirent les Perses dans la passe des Thermopyles, un goulet d’étranglement du Pinde où ils pourront contenir leurs assauts. A l’été 480, le millier d’hommes de Léonidas retient l’armée perse, pourtant largement supérieure en nombre, durant sept jours : et les cadavres achéménides s’amoncellent dans le défilé, à la grande fureur de Xerxès…

MAUVAISE PRÉSAGE. « Le devin Mégistias, ayant consulté les entrailles des victimes, apprit le premier aux Grecs qui gardaient le passage des Thermopyles qu’ils devaient périr le lendemain au lever de l’aurore. » (Hérodote, Histoire, VII, 219.)

« Le roi [Xerxès] se trouvait très embarrassé dans les circonstances présentes, nous dit Hérodote, lorsque Éphialtès, Mélien de nation et fils d’Eurydème, vint le trouver dans l’espérance de recevoir de lui quelque grande récompense. Ce traître lui découvrit le sentier qui conduit par la montagne aux Thermopyles, et fut cause par là de la perte totale des Grecs qui gardaient ce passage. » Ce raccourci, qui permet de prendre l’armée de Léonidas à revers, Xerxès n’aurait pu l’apprendre de la bouche d’un de ses éclaireurs ; il n’est connu que des bergers et des habitants de la région. Fort de cette information, le roi achéménide lance un ultime assaut et force finalement le passage.

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Malgré ses efforts, Xerxès ne pourra soumettre la Grèce : même s’il parvient à incendier Athènes, sa flotte est défaite à Salamis, près de l’Isthme de Corinthe, en septembre. Les Perses, une fois de plus, doivent faire demi-tour… Quant au traître Éphialtès, il a pris la fuite pour échapper à la rancune des Spartiates, sa tête ayant été mise à prix. Il est tué dix ans plus tard par un certain Athénade, sans lien apparent avec l’événement. Peu importe, justice est rendue, et le nom « ephiáltês » devient synonyme de « cauchemar » dans la langue grecque depuis lors.

GUY FAWKES

Tous les 5 novembre depuis 1606, les Anglais enflamment un mannequin à l’effigie de Guy Fawkes et tirent des feux d’artifice. Pour comprendre l’engrenage qui l’a conduit sur le bûcher, il faut remonter au début du XVIe siècle en Angleterre. Sous l’égide d’Henry VIII, la Couronne britannique coupe les ponts avec la papauté : cela permet au roi de s’affranchir de la tutelle de Rome – un joug difficile à supporter – mais aussi de divorcer de son épouse Anne Boleyn. C’est l’occasion rêvée, puisque la Réforme protestante souffle l’Europe. Embrassant les doctrines de Luther et Calvin, l’Angleterre devient anglicane en 1534, et Henry VIII envoie des « chasseurs de prêtres » aux trousses des officiants de mauvaise foi

Pour autant, les Catholiques continuent de se rassembler dans l’ombre. On les retrouve terrés dans les manoirs du nord de l’Angleterre, où ils président toujours des messes secrètes. Capturés, ils sont torturés ou exécutés – une persécution qui se poursuit sous les règnes d’Elizabeth Ière puis, quoique moins sévèrement, de James Ier. Il faut agir…

CONSPIRATION EXPLOSIVE. Les treize conspirateurs discutent de leurs plans dans le plus grand secret… (Gravure de Crispijn van de Passe, v. 1605/Wikipedia)

Nous sommes en 1605. La « Conspiration des Poudres » mûrit dans l’ombre. Son objectif : tuer James Ier et rendre le trône aux Catholiques. Le 20 mai, cinq conspirateurs se rassemblent en secret à  Londres et prêtent serment sur une Bible clandestine. Il y a là Robert Catesby, Thomas Wintour, John Wright, Thomas Percy et Guy Fawkes. Tous sont connus pour leur position d’hostilité envers la Couronne anglicane. Ils décident qu’ils feront sauter la Chambre des Lords lors de la prochaine réunion du Parlement, le 5 novembre. Alors les conspirateurs louent un grenier situé sous le bâtiment, y entreposent trente-six barils de poudre à canon et dissimulent le tout sous du charbon et des bûches. Un cocktail explosif auquel Fawkes doit mettre le feu le moment venu…

Mais le plan, pourtant bien huilé, vacille lorsque Lord Monteagle, le beau-frère d’un des conspirateurs, reçoit une lettre anonyme lui recommandant de ne pas assister à la session du Parlement le 5 novembre. Le notable prévient aussitôt les autorités, qui fouillent les entrailles du bâtiment et y découvrent Guy Fawkes, assis sur une tonne et demi de poudre à canon ! Sous la torture, il révèle le nom de ses complices, et tous sont exécutés pour haute trahison le 31 janvier 1606. Assez ironiquement, les mesures anticatholiques sont immédiatement durcies…

GUY FAWKES’ NIGHT. Depuis, tous les 5 novembre, on célèbre outre-Manche le désamorçage de ce coup d’État explosif en brûlant l’effigie du principal conspirateur. (Photo: Geoff Charles, 1954 via Flickr)

TALLEYRAND

« Le point est de bien jouer son rôle et de savoir à propos feindre et dissimuler » recommande Machiavel dans Le Prince, guide de gouvernement du XVIe siècle. Trois siècles plus tard, son conseil est appliqué à la lettre par Talleyrand. Mais raconter l’histoire de Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord, c’est d’abord se demander comment un homme politique a pu traverser les États Généraux d’Ancien Régime, l’Assemblée Nationale révolutionnaire, le Directoire, le Consulat, le Premier Empire, la Restauration et la Monarchie de Juillet sans quitter les hautes sphères de l’État. Quel sont les secrets de sa longévité ?

Talleyrand est d’abord un homme d’Église, ordonné évêque d’Autun, mais il ne tarde pas à être défroqué par ses pairs : à la Révolution, il propose de nationaliser les biens ecclésiastiques… Le voilà du côté du Tiers- État, et celui qu’on surnomme « le diable boiteux » va rédiger cet article bien connu de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : « La loi est l’expression de la volonté générale. […] Elle doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. » Mais pour lui, il n’y a pas de gentils ni de méchants, seulement des circonstances avec lesquelles il faut savoir jouer.

L’HOMME AU SIX VISAGES. Souvent caricaturé pour sa capacité à retourner sa veste, Talleyrand n’en est pas moins un politicien hors pair… (Credit: portrait de Talleyrand par Pierre-Paul Prud’hon via MET/Domaine public)

Sorti des tumultes de la Révolution, Talleyrand s’allie avec Napoléon qui en fait un ministre de confiance. En 1808, cependant, le ministre le double : envoyé à Erfurt pour sécuriser une alliance avec Alexandre, tsar de Russie, Talleyrand va jusqu’à inciter le souverain à se révolter. « C’est à vous de sauver l’Europe, lui déclare-t-il, et vous n’y parviendrez qu’en tenant tête à Napoléon. » C’est la « trahison d’Erfurt », lourde de conséquences, et qui en appelle d’autres : à l’hiver 1809, le ministre complote avec Fouché pour garder le pouvoir alors que l’Empereur est en Espagne. Il continue ainsi ses manigances et ses intrigues, naviguant avec succès sous la Restauration et la Monarchie de Juillet.

« Les rois changent de ministres, écrit-il dans ses Mémoires ; j’ai changé de rois ». Manipulateur, dissimulateur, mais aussi homme d’État éclairé et européen convaincu, Talleyrand aura au moins eu le mérite de faire valoir la grandeur de la France. Autant admiré qu’il était haï, il préfigure la diplomatie des vestes retournées et des trahisons d’État… On raconte après sa mort, en 1838, qu’il aurait été accueilli par le Diable en Enfer, ce dernier lui déclarant : « Prince, vous avez dépassé mes instructions ».

PHILIPPE PÉTAIN

L’héritage de Philippe Pétain en France, c’est d’abord une douloureuse controverse. La plupart des présidents de la Cinquième République sont allés fleurir sa tombe, mais c’est la sépulture du combattant de Verdun qu’ils honoraient, et pas celle du « traître de Vichy ». Signe d’une histoire chatouilleuse, d’une forme de honte nationale aussi, la polémique resurgit régulièrement dans le paysage médiatique français.

ANCIENS COMBATTANTS. C’est en tant que « frères d’armes » de la Première Guerre Mondiale que Pétain et Hitler se rencontrent à Montoire, en 1940. La collaboration n’est plus très loin… (Photo: Bundesarchiv, Bild 183-H25217 via Wikipedia/CC BY-SA 3.0)

En 1916, lorsqu’il est chargé de l’offensive de Verdun, le général Pétain a déjà soixante ans. Les combats font plus de 700 000 victimes des deux côtés, mais les Français contiennent les assauts ennemis, et ce succès doit au moins en partie aux capacités d’organisation du général, bien soutenu par Joffre et Nivelle. Puis, en 1917, il contribue à améliorer la qualité de vie des Poilus : il accorde davantage de permissions, se montre clément envers les mutins, et lance des offensives plus prudentes, moins coûteuses en vies humaines. Cet esprit « d’économie » en fait une figure paternelle attachante et rassurante.

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Mais les soldats déchantent vite lorsque l’Allemagne nazie contre-attaque en 1939. L’année suivante, Pétain devient vice-Président du Conseil dans le gouvernement de Paul Reynaud. On espère faire jouer de son prestige militaire… Mais, profondément défaitiste, le maréchal de quatre-vingt-quatre ans ne se risque pas à résister. Alors que De Gaulle s’est réfugié en Angleterre pour organiser la Résistance, Pétain demande aux Allemands les conditions de l’armistice. Le 30 octobre 1940, les Français l’écoutent dire à la radio : « C’est dans l’honneur et pour maintenir l’unité française […] que j’entre, aujourd’hui, dans la voie de la collaboration ».

Nous y sommes : le maréchal commence sa descente aux enfers. Il s’attribue tous les pouvoirs et s’investit pleinement dans la collaboration et la persécution des Juifs. Il organise également son propre culte de personnalité, faisant chanter Maréchal, nous voilà ! dans les écoles françaises et se comparant à Vercingétorix ou Jeanne d’Arc. Lorsque le vent tourne et que les Alliés progressent, les Allemands abritent Pétain en Suisse : il demandera à en revenir en 1945, sachant très bien ce qui l’y attend. Son procès, en juillet, est sans appel : il est condamné à mort (peine commuée en prison à vie) et flétri d’indignité nationale. De Gaulle signe son épitaphe : « C’était un grand homme. Il est mort en 1925 ». A l’origine d’un tabou de mémoire qui ne sera jamais résolu.

LES ROSENBERG

Le couple se rencontre en 1936 dans un club politique de New York – la Ligue des Jeunes Communistes. Depuis plusieurs années les doctrines communistes, originaires d’Union Soviétique, percent et sont réprouvées sur le sol américain. Cela n’empêche pas Julius Rosenberg, son diplôme d’ingénieur électronique en poche, de travailler dans les laboratoires militaires de l’armée américaine dès 1940. Il participe à nombre de projets sensibles : la technologie radar, les télécommunications, les systèmes de guidage de missiles. De quoi susciter les convoitises…

PÉRIL ROUGE. Les années d’après-guerre sont marquées par la tristement célèbre « chasse aux sorcières » du sénateur Joseph McCarthy, qui traque les espions communistes… Un climat de paranoïa propice aux procès expéditifs. (Photo: US Senate/Domaine public)

Dès 1942, Julius Rosenberg se trouve en contact avec les agents soviétiques. Il a rencontré un membre du NKVD, le ministère de l’intérieur de l’URSS, en marge des activités de la Ligue Communiste. Dès lors, il commence à espionner pour le compte de l’Union. Croquis de prototypes top secrets, documents de travail, recherches aéronautiques : des centaines de documents sont transmis sous le manteau aux agents soviétiques, contre rémunération. Par ailleurs, il convainc son beau-frère, David Greenglass, de participer à la vente de secrets. C’est une belle prise : le frère d’Ethel travaille sur l’explosif Projet Manhattan, qui dirige les recherches nucléaires de l’armée américaine.

Le réseau souterrain d’informateurs s’effondre lorsque Greenglass est percé à jour par le FBI à l’été 1950. Lui-même entraîne dans sa chute le couple Rosenberg, même si Ethel, à la demande de son mari, n’aurait fait que taper les secrets militaires à la machine (elle travaille comme secrétaire d’une compagnie de transport). Bien plus tard, Greenglass confiera à un journaliste qu’il n’a impliqué sa sœur que pour épargner son épouse, aussi dans le viseur des enquêteurs…

GRILLÉS. Les époux Rosenberg quittent le procès, séparés par un grillage de métal. L’issue des délibérations ne fait plus guère de doute… (Credit: Roger Higgins, Library of Congress/Domaine public).

Le procès fait les choix gras de la presse, mais en coulisses, l’affaire semble déjà entendue. Rétention d’informations, non-convocation de témoins essentiels, accords clandestins : la justice multiplie les faux-pas. Le tribunal, abreuvé de Maccarthysme en pleine Guerre de Corée, veut faire un exemple. A l’étranger, des comités de soutien aux Rosenberg éclosent – Louis Aragon, Simone Signoret, Yves Montand, Albert Einstein, Jean-Paul Sartre et Pablo Picasso font partie des célébrités qui réclament la clémence. En vain : le couple passe sur la chaise électrique le 19 juin 1953. Plus de cinquante ans après, les enfants du couple Rosenberg sont encore en croisade pour disculper leur mère. 


Écrit en partenariat avec le magazine Histoire & Conséquences #3


Bibliographie

Cover picture : Vincenzo Camuccini, La morte di Cesare, v. 1805 via Wikimedia CommonS / MONTAGE BY THE STORYTELLER’S HAT/FIL DE L’HISTOIRE.