Spontanées et terrifiantes, les pandémies constituent de véritables tests de survie pour les civilisations qui les affrontent. Et les mesures sanitaires qui priment aujourd’hui résultent souvent des leçons (douloureuses) de l’Histoire…
Peste, choléra, variole, typhus, grippe… L’humanité a fait face à de nombreuses épidémies au cours de son histoire. Qui plus est, elle s’en est toujours relevée. Mais à quel prix ? Pestes fossoyeuses de civilisations ou maladies incitant à l’innovation médicale, les épidémies ont toujours eu des conséquences riches d’enseignements. Petit tour des mesures de survie à adopter.

Conseil #1 – Mettez l’armée au repos
Il ne fait pas bon mener une armée au combat lorsque l’épidémie frappe. Sauf si vous décidez d’en profiter, comme le sultan Djanibeg qui catapulta par-dessus les murailles de Caffa, en Crimée, des cadavres de pestiférés en 1346 (il introduira ainsi la Peste Noire en Europe). La plupart du temps, cependant, une armée contagieuse fait bien pâle figure…
Au Ve siècle av. J.-C., la peste d’Athènes met un brusque coup de frein aux ambitions militaires de la cité, engluée en pleine Guerre du Péloponnèse. Périclès, son plus fin stratège, meurt d’ailleurs des suites de la contagion (variole ou rougeole étant les deux suspects privilégiés). « Toute science humaine était inefficace, rapporte Thucydide ; en vain on multipliait les supplications dans les temples ; en vain on avait recours aux oracles ou à de semblables pratiques ; tout était inutile ; finalement on y renonça, vaincu par le fléau. »

Quelques siècles plus tard, c’est au tour de Rome de subir plusieurs pestes successives : avec plus de cinq millions de victimes, l’armée est dépouillée de ses effectifs, et l’on se résigne à enrôler des Barbares pour remplumer les cohortes. Mais le mal est fait : les garnisons se délitent de l’intérieur et l’Empire implose avec la pandémie qui infecte Constantinople en 541.
Un exemple plus récent ? En 1792, la bataille de Valmy oppose l’armée révolutionnaire française aux forces d’invasion prussiennes. Mais les envahisseurs, affamés, ont dépouillé les vignes de Champagne de leurs raisins (encore verts) juste avant le combat. Rongés par la dysenterie, les Prussiens sont repoussés, et leur « défaite décisive » permettra à la Première République de s’installer. Champagne !
Conseil #2 – Ne paniquez pas
« Tous tremblaient, fuyaient, évitaient la contagion, abandonnant de façon impie leurs propres amis, comme si, en excluant la personne qui était sûre de mourir de la peste, on pouvait exclure la mort elle aussi. »
Voici la description que fait le diacre Pontius de la peste de Cyprien, qui accable l’Empire romain au IIIe siècle. La fuite est une réaction humaine logique, mais elle a pour conséquence directe de propager le virus plus loin, et donc d’aggraver la pandémie. Lorsque la dernière grande peste d’Occident arrive à Marseille, en 1720, nombreux sont les bourgeois de la cité à s’exiler en masse ; résultat, malgré un « cordon sanitaire » rapidement déployé par les autorités (un mur de pierres sèches de trente-six kilomètres de long), les villes de l’arrière-pays provençal sont contaminées et les cadavres s’amoncellent. A savoir que dès le XVe siècle, on émet des « patentes de santé » qui attestent de la bonne constitution d’un voyageur et l’autorisent à reprendre sa route (les ancêtres de nos autorisations de sortie).

Par ailleurs, on n’hésite pas à réquisitionner des bagnards ou des galériens afin d’enterrer les morts ou de veiller les malades, les médecins et les chirurgiens ayant été les premiers contaminés (ou les premiers à fuir l’épidémie). En témoigne ce billet signé par l’évêque de Bath en 1349 : « la présente pestilence, dont la contagion se répand en tous lieux, a laissé beaucoup de paroisses vides de prêtres. Comme on n’en trouve plus (…), de nombreux malades décèdent sans les derniers sacrements. Annoncez à tous que, s’ils sont sur le point de mourir, ils peuvent se confesser les uns aux autres, et même à une femme. »
Conseil #3 – Prenez conseil auprès d’un (vrai) médecin
Alchimistes, apothicaires, barbiers et même astrologues : de nombreuses professions prennent pignon sur rue au Moyen Âge, avec la promesse d’un savoir-faire médical inégalé. Ne vous y trompez pas : la plupart des théories d’époque reposent sur les traités antiques (Galien et Hippocrate) avec des prescriptions qui ne font souvent qu’empirer les choses. Saignées, clous de girofle, poudres d’émeraude, bézoards, venins, herbes aromatiques, mercure, sabots de cheval… sans compter une bonne dose de messes, de processions et de dons à l’Église. « Les amulettes pendues au cou avec un ruban ne sont pas à mépriser, professe un docteur de l’époque ; l’urine de bouc à flairer n’est pas mauvaise ». Même les pandémies ultérieures, comme le choléra au XIXe ou la grippe au XXe siècle, tarderont à voir naître des traitements efficaces.

Conseil #4 – Ne cherchez pas de coupable
Pour les observateurs antiques et médiévaux, et au moins jusqu’au XVe siècle (même au-delà sous certaines latitudes), toute épidémie est d’origine divine ; c’est un châtiment qui vise à purger la Terre de ses fléaux. Lorsque la Peste Noire déferle en Europe en 1347 – elle tuera un Européen sur trois en l’espace de quatre ans –, les premières réactions consistent à trouver un bouc émissaire pour calmer l’ire divine. Juifs, vagabonds, prostituées, lépreux : les marginaux de toutes sortes, considérés comme des « semeurs de peste » aux mœurs douteuses, sont chassés voire lynchés.

Des pogroms ont lieu en 1348 dans de nombreuses cités européennes : Barcelone, Strasbourg, Toulon, Erfurt, Bruxelles. Souvent, ils ont pour cible des minorités qui sont déjà dans le viseur des autorités. C’est ainsi que l’on pend une poignée de huguenots à Lyon en 1628, soupçonnés d’être des « engraisseurs » c’est-à-dire de répandre l’épidémie en enduisant les poignées de porte de pus pestilentiel. En plus de leur caractère cruel et arbitraire, ces manifestations empirent la situation sanitaire en attirant des foules compactes sur les places publiques, favorisant la contagion.
Conseil #5 – Restez chez vous
Il faut attendre 1377 pour que le protocole de quarantaine soit institutionnalisé, d’abord à Raguse puis à Venise. Suite à la « Grande Pestilence » du milieu du XIVe siècle, les navires marchands sont contraints à rester quarante jours dans la lagune avant d’être autorisés à investir le port. Le procédé gagne ensuite la plupart des ports européens. Il n’y a qu’un pas à franchir pour que la quarantaine devienne confinement sur la terre ferme. Certains bâtiments (églises, lazarets) sont réquisitionnés pour procéder à l’isolement et au soin des malades, mais ce sont souvent des endroits bondés, chargés d’humeurs maladives et de corps mourants. « Vous êtes assailli d’odeurs nauséabondes… Vous devez enjamber des cadavres… C’est l’enfer sur terre » gémit le cardinal Spada en visitant l’un de ces lieux.

Une précaution supplémentaire consiste alors à confiner les pestiférés chez eux, et à marquer leur maison pour mettre en garde les badauds. Durant la Peste Noire, l’autorité qui dirige Milan assigne « toute famille dont un membre était infecté à être murée chez elle et nourrie au moyen de paniers coulissant sur des cordes ». Plus tard, ces mesures de distanciation sociale seront renforcées lors de l’apparition de la grippe espagnole, pandémie redoutable qui fait 50 à 100 millions de victimes entre 1918 et 1919 (parmi lesquelles Guillaume Apollinaire, Franz Kafka ou Edmond Rostand). A Saint-Louis, aux États-Unis, des mesures sanitaires strictes – fermeture des écoles et des églises, port obligatoire du masque, confinement appliqué à la lettre – permettent d’enregistrer un taux de mortalité très faible.
Conseil #6 – Qu’ils reposent en paix… et loin
Avec les épidémies, la gestion des dépouilles pose d’encombrants soucis logistiques, surtout parce que les corps sont autant d’agents de transmission du virus. Dès l’Antiquité, les arches scythes, peuplade nomade d’Asie Centrale, ont su en tirer profit en plantant leurs flèches dans des cadavres de pestiférés afin d’empoisonneur leurs cibles. Pour limiter les contagions post-mortem, les autorités sanitaires enfouissent au plus vite les victimes dans des fosses communes, « comme des lasagnes » selon une formule d’époque (la peste s’était d’abord déclarée en Italie), saupoudrées de chaux.

Il y a quelques innovations notables : dans le Midi, en 1720, on propose d’entreposer les cadavres dans des navires destinés à être coulés en pleine mer. Mais l’intendant de Provence s’y refuse, craignant que les dépouilles ne soient ramenées par les courants et ne contaminent le poisson. Deux siècles plus tard, les épidémies de choléra entraînent de nombreuses mises en terre précipitées : craignant d’être enterrés vivants, certains s’offrent des « cercueils de sûreté » visant à empêcher ces fâcheux inconvénients. « Qui n’obéit pas au médecin obéira au fossoyeur » met en garde un proverbe italien…
Conseil #7 – Lavez-vous les mains (et le reste)
L’hygiène n’a pas toujours été un enjeu sanitaire central ; préconisée durant l’Antiquité gréco-romaine, friande de bains, elle s’étiole sous l’influence de L’Église qui considère les thermes comme des lieux de débauche et de promiscuité. Il faut véritablement attendre le XIXe siècle et les ravages du choléra pour que la question revienne sur le tapis. A l’époque, l’industrialisation à marche forcée favorise un urbanisme insalubre où prolifèrent rats et maladies. Les fleuves sont de véritables dépotoirs jonchés d’ordures et de déchets organiques. « La Tamise est devenue une grande fosse d’aisance » déplore le Londonien Thomas Cubbit en 1840.

Or, c’est par l’eau que le choléra se transmet : du delta crasseux du Gange aux rivières européennes, la maladie finit par contaminer les points d’eau, les lavoirs et les puits. Lorsque l’on finit par comprendre les racines de la pandémie, des travaux d’envergure sont entrepris pour rénover les égouts de Londres et de Paris dans les années 1850. De même, des comités d’hygiène locaux sont déployés par les municipalités, ainsi que des services de microbiologie et l’obligation de se faire vacciner.
Cela n’empêchera pas l’hygiène douteuse des tranchées de favoriser la dissémination de la grippe espagnole à partir de l’été 1918 : « en un mois, la grippe espagnole a causé, dans la capitale, plus de mal que les avions et les canons en quatre ans de guerre » souligne un journal français. Au total, 27% de la population mondiale sera infectée par la pandémie la plus meurtrière de l’Histoire… En espérant que suffisamment de leçons en auront été tirées pour qu’elle reste à jamais au sommet de la liste.
Bibliographie
- Michel Signoli, La Peste Noire, éd. Humensis, 2018.
- William Naphy, Andrew Spicer, La Peste Noire 1345-1730 : Grandes peurs et épidémies, éd Autrement, 2003.
- Monique Lucenet, Les grandes pestes en France, éd. Aubier, 1985.
- Claude Quétel, Murs : une autre histoire des hommes, éd. Perrin, 2012.
- Charles Carrière, Marcel Coudurié, Ferréol Rebuffat, Marseille, ville morte : la peste de 1720, éd. Autres Temps, 2008.
- Charles Q. Choi, “Plague Helped Bring Down Roman Empire, Graveyard Suggests”, LiveScience, 10 mai 2013.
- Olivier Lahaie, « L’épidémie de grippe dite « espagnole » et sa perception par l’armée française (1918-1919) », Revue historique des armées, 262, 9 février 2011.
- Nina Strochlic, Riley D. Champine, “How some cities ‘flattened the curve’ during the 1918 flu pandemic”, National Geographic, 27 mars 2020.