C’est un épisode légendaire de la Bible. Agacé par un pharaon qui refuse de libérer ses esclaves hébreux, Dieu entre dans une colère noire et déploie une série de fléaux qui ravagent le pays et déciment ses populations. Ainsi naissent les fameuses « Dix Plaies d’Égypte ». Mais ce mythe fondateur de l’Exode pourrait-il dissimuler des fondements historiques ? La science répond.
Au commencement, la légende
Le livre de l’Exode, deuxième partie de l’Ancien Testament, narre l’épopée de Moïse jusqu’en Terre Promise, où il doit selon les instructions de Dieu mener les Hébreux à l’écart des persécutions dont ils font l’objet. Premier obstacle : la plupart des « enfants d’Israël », que la famine a portés loin de chez eux, ont été réduits en esclavage par Pharaon, le plus haut dignitaire d’Égypte. Sollicitant une audience auprès de lui, Moïse se heurte à l’hostilité du dirigeant, qui refuse obstinément de briser les chaînes de ses serviteurs. « Pharaon a le cœur endurci ; il refuse de laisser aller le peuple, » se lamente-t-on alors (Exode 7 : 14).
Afin de faire plier le geôlier du peuple hébreu, Dieu déchaîne son courroux et frappe l’Égypte de maux foudroyants. Dix fléaux successifs accablent le peuple égyptien, tous plus dévastateurs les uns que les autres. D’abord, les poissonneuses eaux du Nil se changent en sang ; puis les grenouilles envahissent le pays, suivies des moustiques et des taons ; le bétail succombe ; hommes et bêtes sont couverts d’ulcères ; la grêle ravage cultures et constructions ; les sauterelles grouillent par millions ; les ténèbres s’installent pendant trois jours ; enfin, tous les premiers-nés d’Égypte périssent.

Après cet ultime châtiment, qui instille chagrin et désespoir dans le cœur des Égyptiens, Pharaon finit par céder et libère les esclaves Hébreux. C’est ainsi que Moïse peut mener les Israélites en Terre Promise ; même si, revenant sur sa parole, le dirigeant égyptien enverra ses armées aux trousses des Hébreux… Ces derniers s’enfuiront alors à travers la Mer Rouge ouverte en deux (une opération pas si facile à exécuter dans d’autres circonstances).
Théra-tiboisée
Bien entendu, le récit biblique n’a jamais eu la prétention d’avoir un quelconque fondement historique. Jusqu’à ce que plusieurs archéologues le relient à une catastrophe antique apparemment sans rapport : l’éruption du volcan sur l’île de Théra, actuelle Santorin. Vers 1600 avant notre ère, une explosion colossale ébranla l’archipel grec des Cyclades. La forme actuelle de Santorin, un demi-cercle éclaté, porte encore les cicatrices de cet événement sans précédent…
D’après les spécialistes, une colonne de fumée haute de quarante kilomètres s’éleva dans les airs, et le panache de cendres obscurcit le soleil plusieurs jours durant. Des tsunamis d’une dizaine de mètres de hauteur dévastèrent la flotte militaire de l’archipel et les habitations côtières. Le reste fut englouti par les roches et la lave en fusion que le volcan vomit sur des dizaines de kilomètres à la ronde. La civilisation minoenne, l’une des plus puissantes de l’époque, ne s’en relèvera jamais. La portée de la catastrophe fut telle que des géologues repérèrent des traces de l’éruption jusqu’au Groenland et en Californie. En Égypte, elle déposa une couche de cendres au fond du Nil, à mille kilomètres de l’épicentre.
Une malédiction scientifique ?
C’est ici que l’on retrouve notre châtiment biblique. Il frappe d’abord le fertile delta du Nil : « les eaux du fleuve […] seront changées en sang » (7:17) précise le texte de l’Exode. Or, une réaction chimique résultant du mélange de l’eau et des cendres volcaniques pourrait engendrer cette coloration rouge foncé, riche en soufre. Des biologistes avancent également l’hypothèse que le cocktail chimique du Nil aurait favorisé la prolifération d’algues rouges.

Désormais extrêmement acide, le fleuve empoisonné charrie des centaines de poissons morts, intoxiqués, qui échouent sur ses berges. Très logiquement s’ensuit la deuxième plaie : les grenouilles fuient le Nil devenu inhospitalier et envahissent le voisinage, où elles meurent en masse de déshydratation. Cette affirmation semble validée par le texte sacré : « les grenouilles périrent dans les maisons, dans les cours et dans les champs. On les entassa par monceaux, et le pays fut infecté » (8:9,10). A n’en pas douter, un tel amas de chairs mortes attire la convoitise des poux, moustiques et taons, qui frappent l’Égypte conformément aux troisième et quatrième vœux de Dieu. D’ailleurs, les grenouilles étant leurs plus grands prédateurs, les insectes pullulent librement en leur absence.
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Le calvaire des locaux ne fait que commencer : « tous les troupeaux des Égyptiens périrent » (9:6). Encore une fois, difficile de distinguer la mort du bétail des épidémies mortelles propagées par les insectes, qui par ailleurs ravagent les cultures destinées à les nourrir. De quoi porter le coup de grâce aux troupeaux déjà affaiblis par l’inhalation de cendres. L’eau malade du Nil aura également pu contaminer le bétail qui y boit comme les humains qui s’y baignent : ainsi naissent les lésions cutanées, ou ulcères, mentionnés dans le récit biblique. Une autre explication rationnelle culpabilise les épidémies de variole, qui causent des blessures similaires et ne sont pas rares en Égypte antique – on a même retrouvé des pustules de variole sur la momie de Ramsès V, qui régna un millénaire avant notre ère.

Jusque-là, tout porte à croire qu’une simple réaction en chaîne, issue d’une catastrophe initiale, pourrait avoir déclenché les six premiers fléaux attribués à l’ire divine. Qu’en est-il des suivants ?
Averses de grêle (et de sauterelles)
« Il tomba de la grêle, et le feu se mêlait avec la grêle ; elle était tellement forte qu’il n’y en avait point eu de semblable dans tout le pays d’Égypte depuis qu’il existe comme nation » (9:24). Les textes antiques auront pu attribuer les retombées volcaniques à de la grêle, relativement rare sous de pareilles latitudes ; mais il n’est pas exclu qu’une catastrophe naturelle engendre des dérèglements climatiques susceptibles d’expliquer une météo aussi capricieuse.
A peine l’ouragan de feu a-t-il cessé que les sauterelles pullulent. « Elles couvriront la surface de la terre, et l’on ne pourra plus voir la terre ; elles dévoreront le reste de ce qui est échappé, ce que vous a laissé la grêle, elles dévoreront tous les arbres qui croissent dans vos champs » (10:5). Rien d’anormal : en Égypte, il n’est pas surprenant d’apercevoir des nuages de sauterelles grouiller dans les récoltes au printemps. Des taux d’humidité anormalement hauts favorisent également leur présence, ce dont les perturbations climatiques liées à l’éruption pourraient être responsables. Au début des années 2000, une nuée de sauterelles particulièrement féroce avait causé de graves dommages dans les cultures du pays, et c’est semble-t-il un fait assez récurrent. Serait-ce une invasion du même genre qui aurait dévasté les champs du peuple égyptien, et même causé « d’épaisses ténèbres dans tout le pays d’Égypte, pendant trois jours » (10:22) ?

Des pluies de sauterelles, même torrentielles, ne peuvent expliquer une période continue d’obscurité – à moins que le récit biblique ait volontairement exagéré le neuvième fléau. En revanche, l’interminable panache de cendres lié à l’éruption aurait bien pu oblitérer les rayons du soleil pendant trois jours. Un cataclysme de même intensité s’est produit en 1815 en Indonésie, avec des conséquences tout aussi apocalyptiques : le volcan Tambora entra en éruption et fut à l’origine d’un « hiver volcanique », une période de forte chute des températures. Du fait des perturbations atmosphériques liées à l’éjection de cendres, l’année suivante fut tristement baptisée « l’année sans été » en raison de son cruel déficit de lumière solaire.
Premier servi, premier péri
Reste la dernière malédiction – la plus cruelle, qui finit par faire fléchir le pharaon. « Cette nuit-là, je passerai dans le pays d’Égypte, et je frapperai tous les premiers-nés du pays d’Égypte, » (12:12) avertit Dieu. Selon les estimations démographiques de l’époque, cela pourrait concerner des centaines de milliers de personnes : or aucun ossuaire géant, aucun cimetière antique de l’époque n’a été mis au jour par les archéologues pour étayer cet épisode mythique. Cependant, une explication rationnelle de l’événement réside dans les coutumes égyptiennes. La tradition exige en effet que les aînés soient les premiers à manger lors des repas, voire les seuls en cas de manque. Une pénurie alimentaire plus que probable en raison des multiples fléaux qui frappent les cultures (invasions d’insectes, violentes intempéries, déficit de soleil, mort du bétail utilisé dans l’agriculture). Si les céréales avaient été avariées – des champignons infectant le grain des céréales, comme la bactérie cladosporium – alors les premiers-nés d’Égypte en auraient été les premières victimes. D’un dramatique accident « culturel », on aurait fait une malédiction légendaire…

Les dix plaies d’Égypte sont-elles uniquement le fruit d’un temps de malheur, que le temps aura altéré, exagéré et transformé en fable divine ? C’est possible, et les explications de nombreux scientifiques en attestent. La plupart de ces désastres sont liés les uns aux autres par des relations de cause à effet, même s’il est raisonnable de penser qu’ils ne se sont pas forcément déroulés dans cet ordre, ni successivement mais plutôt dans le même temps. Et tandis que la tradition orale colportait les conséquences brutales d’une catastrophe naturelle – obscurité, invasions d’insectes, bouleversements climatiques – chacune serait au fil du temps devenue une entité distincte. Et comment ne pas attribuer une série de maux dévastateurs frappant le pays à un châtiment divin ?
Sources
- Live Science, « The Science of the 10 Plagues », 11/4/2017.
- Heather Whipps, « How the Eruption of Thera Changed the World », Live Science, 24/2/2008.
- Michael Casey, « 200 years ago: A volcano that blocked out the sun », CBS News, 31/3/2015.