Se faire la malle. Se tirer. Se carapater. Prendre la poudre d’escampette. Se débiner, s’enfuir, s’échapper. Le vocabulaire est riche : normal, il est le reflet d’un fantasme partagé par des générations de détenus. Et certains ont forcé les barreaux de leurs cellules avec un certain panache… Florilège.
On n’a pas toujours puni les criminels d’une peine de prison. Réduire en esclavage, mettre à mort, condamner à une amende proportionnelle au crime (c’est le wergeld, « argent du sang » des Francs) débarrassait tout aussi bien la bergerie de ses moutons noirs. Et si l’on commence à mettre « en chaînes » dès l’Antiquité, c’est le Moyen Âge qui démocratise la pratique : on emprisonne dans des forteresses aveugles, on « oublie », on « embastille » à tour de bras (et de clé). De quoi stimuler les rêves d’évasion… et les tentatives originales.

Casanova se fait la belle
C’est l’un des nombreux rebondissements d’une vie houleuse. En 1755, Giacomo Casanova est enfermé à la Prison des Plombs, située au Palais des Doges, à Venise. Son délit ? Il a causé l’outrage par son comportement indécent, son libertinage et ses nombreux blasphèmes. Sa première nuit sous les verrous est épouvantable : il se réveille brusquement car il croit avoir touché un cadavre « froid comme glace », avant de réaliser qu’il s’agit de son propre bras paralysé !
Il échafaude dès lors un plan d’évasion de cet « enfer de l’humanité vivante ». Dans la nuit du 31 octobre 1757, après quinze mois de préparation, Casanova perce le plafond de la prison avec un compagnon de cellule, le prêtre renégat Marino Balbi. Commence alors une fuite discrète dans le dédale de corridors du Palais : longeant les corniches, traversant des fenêtres, descendant des échelles de cordes, Casanova parvient à s’échapper sans attirer l’attention. L’épicurien donne, dans ses Mémoires, les secrets de sa réussite : « j’ai aimé les femmes à la folie, mais je leur ai toujours préféré ma liberté. »

John Dillinger : port d’arme illégal
Pendant la Grande Dépression américaine, l’ennemi public n°1 s’appelle John Dillinger. Dans les années 1930, le gangster participe à douze braquages de banques, empoche près de 300 000$ (soit plus de quatre millions de dollars aujourd’hui) et profite de ces « visites » pour détruire les dossiers de crédits immobiliers. Cela lui vaut une réputation de Robin des Bois dans le cœur des millions d’Américains moyens, fauchés par la crise de 1929.
Le FBI et les autorités américaines se félicitent donc de la capture de Dillinger, en janvier 1934. Impertinent, le gangster pose même avec son bras autour des épaules du procureur… Il est mis sous les verrous « anti-évasion » de Crown Point, dans l’Indiana. Un mois et demi plus tard, Dillinger parvient à s’évader en braquant un pistolet sur ses geôliers : il s’agit en réalité d’un bout de bois peint au cirage ! La menace fonctionne, et le criminel s’enfuit dans la voiture du shérif. Six mois plus tard, au terme d’une fuite rocambolesque (qui implique de la chirurgie esthétique lui permettant de brûler ses empreintes digitales à la soude), le 22 juillet, Dillinger est abattu à la sortie du Biograph Theater de Chicago. Il assistait à un film de gangsters.

La Grande évasion du Stalag Luft 3
En mars 1943, Roger Bushell, chef d’escadron de la Royal Air Force, est enfermé avec des centaines de pilotes dans le camp de prisonniers Stalag Luft 3, supervisé par la Luftwaffe et situé en Silésie (actuelle Pologne). Barreaux, clôture hérissée de barbelés, miradors suffisent à dissuader une tentative d’évasion en plein air. Qu’à cela ne tienne : Bushell et ses hommes de confiance commencent à creuser un tunnel serpentant sous le camp de prisonniers…
On a déjà vu ça des centaines de fois : mais l’ingénieux pilote décide de faire creuser simultanément trois tunnels, qu’il baptise Tom, Dick et Harry pour ne pas éveiller les soupçons des « furets » (gardiens). Ainsi, si l’un d’eux était mis au jour, les deux autres resteraient disponibles pour une évasion ultérieure. Cela tombe bien, Tom est découvert en septembre 1943 ; quant à Dick, la zone sur laquelle il doit déboucher à ciel ouvert, à l’extérieur du camp, est déboisée par les Nazis en prévision d’un agrandissement du Stalag…

Les efforts s’intensifient alors pour prolonger Harry jusqu’à la distance souhaitée – 102 mètres. Des centaines de prisonniers se relaient pour creuser, à l’aide de couverts ou de boîtes de conserve, sous le poêle de la hutte 104 où l’entrée du tunnel est dissimulée. La terre excavée est dispersée dans les faux-plafonds ou éparpillés en différents endroits du camp, cachée dans les poches des détenus. Il y en a plus de cent tonnes ! Des planches de bois, arrachées au lit des prisonniers, permettent de soutenir les fondations, et des taies d’oreillers étouffent les bruits de l’ouvrage. Quant au tunnel Dick, abandonné récemment, il sert de lieu de stockage des vêtements, des faux-papiers et des rations en prévision du grand départ.
Le 24 mars 1944, nuit brumeuse sans Lune, le premier détenu se faufile dans le tunnel. Il est près de neuf heures du soir. L’hiver polonais fait perdre aux évadés un temps précieux : il faut une heure et demie pour dégager la sortie gelée de Harry qui débouche, à la surprise générale, non pas dans la forêt mais dans une zone dégagée à quelques mètres d’une sentinelle ! Un mauvais calcul qui pourrait coûter cher… A ce rythme, seuls six détenus peuvent quitter la prison par heure.

Le lendemain matin, vers cinq heures, une sentinelle repère un prisonnier émergeant du tunnel. Il s’agit du soixante-dix-septième à se faire la malle ; dès que l’alarme se déclenche, les dizaines de détenus encore coincés dans le tunnel font demi-tour. Une gigantesque chasse à l’homme est organisée, et en deux semaines, 73 des 76 échappés sont repris (dont Roger Bushell, capturé à Saarbrücken, à quelques lieues de la frontière française). Cinquante sont exécutés sommairement sur ordre personnel d’Hitler. Et tant pis pour la Convention de Genève.
Un kit d’évasion maquillé en Monopoly
Pendant la Seconde Guerre Mondiale, Christopher « Clutty » Hutton est un ancien pilote recruté par les services secrets britanniques. Grand admirateur des illusionnistes (notamment du magicien Houdini, apparemment capable de faire sauter toutes les serrures), il échafaude un plan afin de faciliter l’évasion de prisonniers alliés (ils sont près de 200 000) disséminés en Allemagne.

Son tour de magie s’appuie sur la révision des clauses de la Convention de Genève. Depuis 1929, il est permis aux prisonniers de recevoir des jeux de société. Les gardiens des camps pensent que ces passe-temps les dissuaderont de se consacrer aux projets d’évasion… C’est ainsi que Clutty fait concevoir, dans le plus grand secret, une édition très spéciale du Monopoly. Une boussole et une lime sont ajoutés aux pions métalliques ; de la monnaie allemande et française, en petites coupures, est dissimulée parmi les billets de banque factices ; enfin, des cartes détaillées du territoire sont cachées dans le plateau de jeu.
LIRE AUSSI : Les Opérations MILITAIRES Les Plus Folles de 1939-1945
Tous les détails sont soignés afin de ne pas éveiller la suspicion des gardiens, qui fouillent méticuleusement les paquets des prisonniers. Étiquetés au nom de fausses associations caritatives, les jeux de société contiennent également des messages d’encouragement, comme ce verset biblique : « demandez, et l’on vous donnera ; cherchez, et vous trouverez ; frappez, et l’on vous ouvrira » (Matthieu 7:7). Une façon habile de dissimuler le véritable but du jeu…

Les plateaux factices de Monopoly sont ensuite distribués par centaines, au beau milieu d’éditions authentiques afin de noyer le poisson. Si l’on ignore combien de prisonniers ont pu s’échapper grâce à ce stratagème (qui restera un secret pendant les quarante années suivantes), il y a fort à parier que la carte « vous êtes libéré de prison » du Monopoly a pris un sens bien réel pendant la Seconde Guerre Mondiale !
Mille façons de faire le Mur
Long de quarante-trois kilomètres, le Mur de Berlin est élevé en 1961 par les Soviétiques pour endiguer l’émigration massive vers l’ouest. « Grepos » (sentinelles), chiens de garde, mines enfouies et barbelés complètent l’œuvre du béton pour rendre la frontière impénétrable. On ordonne aux gardiens de tirer à vue sur les contrevenants – ce qui se produit à de nombreuses reprises…

Pourtant, les tentatives d’évasion ne manquent pas. Tous les moyens sont bons : escalader le mur, le franchir à bord d’une montgolfière, passer par les égouts, le traverser en voiture… ou à bord d’un tank, comme l’expérimente Wolfgang Engels en 1963. Ce soldat est-allemand, finalement bloqué dans les barbelés et pris pour cible par les sentinelles, parviendra quand même à s’enfuir.
L’acrobate Horst Klein s’échappe, quant à lui, en jouant au funambule sur un fil électrique en décembre 1962. Si son évasion se termine par une chute – il se fracture les deux bras –, Klein atterrit néanmoins en Allemagne de l’Ouest. Autre méthode originale : Hartmut Richter traverse à la nage le Canal Teltow qui relie l’est et l’ouest. Il lui faut quatre heures pour effectuer la traversée.

Mais le moyen le plus plébiscité (et le plus sûr) reste le tunnel. Au moins soixante-dix d’entre eux sont creusés, mais la plupart sont découverts (les gardes utilisant des détecteurs sismographiques) ou abandonnés. Néanmoins, dix-neuf tunnels permettront à environ quatre cents personnes de s’évader. Au total, si environ 5000 personnes sont parvenues à franchir le Mur et à gagner leur liberté, au moins 140 ont perdu la vie en tentant l’évasion.
Merci à Albane d’Encre d’histoires pour avoir planté le décor !
Bibliographie
- Paul Buck, Prison Break: True Stories of the World’s Greatest Escapes, John Blake Publishing, 2012.
- Paul Brickhill, The Great Escape, Faber, 1950.
- Erin McCarthy, « How an Intelligence Officer Used Monopoly to Free POWs« , Mental_Floss, 19 mars 2015.
- Christopher Goodwin, « America’s own Robin Hood. The Dillinger Legend », The Sunday Times, 28 juin 2009.
- Erin Blakemore, « All the Ways People Escaped Across the Berlin Wall », History.com, 8 novembre 2019.
- Erin Blakemore, « Why the Berlin Wall rose–and fell », National Geographic, 8 novembre 2019.