Chauve-souris incendiaires, tanks gonflables, torpilles humaines… Les services secrets ou les bureaux d’état-major accouchent parfois d’idées saugrenues, et la Seconde Guerre Mondiale fut un terrain d’expérimentation particulièrement fertile. Petite sélection des projets les plus farfelus.
Qu’il s’agisse de missions de camouflage, d’infiltration, de diversion, d’espionnage, d’attaque-surprise ou de sabotage, les armées ont toujours rivalisé d’inventivité pour parvenir à leurs fins. Car la guerre est une source constante d’innovation, qu’elle soit technique ou tactique. « Que la stratégie soit belle est un fait, mais n’oubliez pas de regarder le résultat » avertissait Churchill… Faisons justement le tour des opérations (très) spéciales de la Seconde Guerre Mondiale qui ont parfois échappé à la postérité.
Une armée qui ne manque pas d’air
Soucieux de détourner l’attention des Nazis de la Normandie, où le Débarquement se prépare, les Alliés mettent sur pied une gigantesque entreprise de diversion dès le printemps 1943 – nom de code, Fortitude. Pour l’appuyer sur le terrain, des unités mobiles (« l’Armée Fantôme ») soignent la supercherie en brouillant les canaux allemands de messages radio bidon, en diffusant les bruits d’une armée en mouvement par haut-parleur, mais aussi en déployant une infrastructure en toc (tanks gonflables, avions de chasse bricolés…) ainsi que des insignes inventés de toutes pièces ! Pour rendre plus authentique encore cette guerre d’illusions, certains des acteurs revêtent des uniformes d’officiers, et Patton lui-même participe aux manœuvres.

Chauve qui peut
On pourrait penser qu’il s’agit d’un énième gadget de Batman… Mais non, la « bat bomb » est un prototype militaire sérieusement étudié par l’US Army en janvier 1942 ! Tout commence lorsqu’un dentiste américain, échaudé par Pearl Harbor, écrit à la Maison-Blanche pour suggérer de convertir les chauves-souris en bombes volantes. Il revenait d’un séjour aux Cavernes de Carlsbad (Nouveau-Mexique), réputées pour être infestées de chiroptères… « Cet homme est loin d’être un imbécile, aurait commenté Roosevelt. C’est une idée complètement folle mais qui vaut la peine qu’on s’y intéresse. »
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Qu’à cela ne tienne : après plusieurs mois d’efforts, les ingénieurs américains produisent un prototype de bombe pouvant accueillir un millier de chauve-souris, chacune étant sanglée à un dispositif incendiaire doublé d’un minuteur. L’objectif ? Lâcher la bombe au-dessus d’une ville japonaise, et laisser les bestioles se réfugier dans les greniers des habitants, afin d’y propager le feu depuis l’intérieur et de maximiser les dégâts. Mais après des tests peu concluants (une base américaine est incendiée) et un coût estimé à deux millions de dollars, les autorités clôturent le projet pour se focaliser exclusivement sur la bombe atomique.

Kamikaze des eaux
L’invention est italienne : la marine transalpine développe un premier modèle vers 1918, alors que la Grande Guerre touche à sa fin. Mais dès 1940, rebelote – les prototypes sont sortis des cartons et remis à l’eau. Le principe est simple : une torpille métallique de six mètres de long, chevauchée par deux hommes-poissons gainés de caoutchouc. Cela pourrait prêter à rire si 250 kilos d’explosifs n’étaient pas fixés à la tête de l’appareil… A l’approche de l’objectif, les cavaliers des eaux doivent fixer l’engin sous la coque du navire ciblé – généralement près de la quille – et fuir à toute vitesse. Déployée en Méditerranée, l’unité italienne dirigée par Valerio Borghese, « le prince-grenouille », coule plusieurs croiseurs alliés en 1941.

Les ingénieurs japonais vont plus loin en dotant une torpille classique d’un habitacle pouvant accueillir un pilote en mission-suicide. D’autres kamikazes des eaux, les fukuryu (« dragons accroupis »), sont des unités d’hommes-grenouilles munies de perches de bambou surmontées de mines, qui déclenchent leur explosif au passage d’un sous-marin ennemi. A la différence des unités spéciales italiennes, peu de soldats nippons survivent au processus, cependant leur usage reste (heureusement) limité.
La répétition tourne au cauchemar
Avril 1944, dans le comté de Devon, en Angleterre. La grande répétition « en tenue de scène » du débarquement vient de se conclure ; et le moins que l’on puisse dire, c’est que l’Opération Tigre n’a pas connu un franc succès… Pendant neuf jours, les unités alliées (plus de 23 000 militaires) ont bafouillé leurs manœuvres sur les sables de Slapton Sands, qui ressemblent à s’y méprendre aux plages d’Omaha et d’Utah. Pire, une poignée de S-Boote allemands est venue jouer les trouble-fêtes en torpillant la flotte alliée paralysée. Résultat, près de 950 soldats se sont noyés dans la Manche…

Longtemps dissimulé par les services secrets, cet exercice permit au moins de tirer quelques enseignements en vue du D-Day, notamment d’améliorer la communication radio entre marines américaine et anglaise, et de sensibiliser les hommes à l’usage salvateur du gilet de sauvetage. Des leçons qui auront leur importance dans le dénouement du conflit…
Quarante ans de quarantaine
La guerre bactériologique a des racines bien plus lointaines qu’on ne le pense, mais c’est surtout à partir du XXe siècle que les armes chimiques se démocratisent. Dans les années 1940, les chercheurs alliés s’activent dans leurs laboratoires, testant des souches de brucellose, de botulisme, de tularémie… Les Britanniques envisagent notamment de bombarder les prés allemands de tourteaux de lin infectés par le bacille du charbon (anthrax), afin de contaminer le bétail et de corrompre la nourriture de l’ennemi.
Le projet, habilement baptisé « Opération Végétarien », est d’abord testé sur l’île écossaise de Gruinard. Mais les spores d’anthrax sont si virulentes que les moutons insulaires disparaissent en un temps record… Pour s’en débarrasser, les animaux sont jetés à la mer et leurs carcasses enfouies en dynamitant une partie de la falaise. Seul hic : un cadavre s’échoue sur une plage écossaise, où il entraîne la mort d’un chien, deux chevaux, trois chats, sept vaches et cinquante moutons ! Les autorités britanniques, incapables de décontaminer les sols, décident donc de racheter l’île en 1946. Jamais utilisés, les cinq millions de tourteaux infectés seront incinérés à la fin de la guerre, et la quarantaine de l’île Gruinard sera prolongée… jusqu’en 1986.

Une invasion nazie pour la bonne cause
Pour promouvoir l’effort de guerre, la peur est parfois plus motivante que le patriotisme… C’est avec cette idée en tête que l’armée canadienne réalise, en février 1942, une simulation de ce qu’une invasion nazie sur le continent pourrait donner. L’opération, surnommée « If Day » (Si un jour), mobilise 3500 soldats canadiens et se déroule dans la ville de Winnipeg, dans le Manitoba.
Le 19 février, dès 6h du matin, les bombardements factices commencent, et les habitants se réveillent au son strident des sirènes d’alarme. Quelques heures plus tard, une troupe de volontaires déguisés en Nazis (leurs uniformes ont été empruntés à Hollywood) arpente les rues de la ville, malmenant les livreurs de journaux et fouillant les civils. Ils réquisitionnent également les déjeuners des travailleurs, pillent certains magasins et organisent un bûcher de livres devant la bibliothèque de Winnipeg. Très vite, des croix gammées s’élèvent aux quatre coins de la ville. Les rues sont promptement renommées avec des consonances allemandes, et le journal municipal est transformé en « Das Winnipeger Lügenblatt » (le tissu de mensonges de Winnipeg), publication bourrée de propagande et de censure feintes. Le jour s’achève sur une parade militaire et la déportation des autorités municipales.

L’opération connut un franc succès et permit de récolter plus de trois millions de dollars pour contribuer à l’effort de guerre. Évidemment, les citoyens avaient été prévenus pour éviter une panique généralisée, mais cela n’empêcha pas les hôpitaux factices de recevoir deux vrais blessés : un soldat avec une cheville tordue, et une femme s’étant coupé le doigt en préparant les toasts matinaux…
Bibliographie
- Claude Quétel, Les opérations les plus extraordinaires de la Seconde Guerre Mondiale, Perrin, 2019.
- Wendy Lawrance, Exercise Tiger: The Forgotten Sacrifice of the Silent Few, Fonthill Media, 2013.
- Evan Andrews, « D-Day’s Deadly Dress Rehearsal », History.com, 27 avril 2017.
- « The British Plan to Cover Germany With Anthrax », Today I Found Out, 26 décembre 2017.
- Tristin Hopper, « Rare photos from ‘If Day' », National Post, 21 février 2019.