Hiroo Onoda, Dernier Soldat à Capituler

Pour la plupart des gens, la Seconde Guerre Mondiale a pris fin en 1945… Mais un soldat nippon élevé à l’honneur samouraï la prolongea de deux décennies, niché au fond des jungles denses du Pacifique. Portrait d’un héros en retard sur son temps.

Hiroo Onoda naît en 1922 dans le village de Kainan, au sud d’Honshu, au Japon. Son éducation se fonde sur les préceptes des combattants samouraïs,  dont sa famille descend en droite lignée : ainsi les codes d’honneur ne sont-ils pas étrangers au jeune Hiroo, qui valorise l’humilité, le respect et la fidélité envers ses supérieurs. Marchant dans les traces de son père, officier militaire qui perdra la vie au combat quelques années plus tard, Hiroo s’engage dans l’armée impériale nippone. Il a tout juste 20 ans.

Commence alors un entraînement rigoureux à l’école de Nakano, où on l’éveille aux arts subtils de la guerre tels que le renseignement ou la guerre de guérilla. Ses instructeurs insistent notamment sur un principe de base : l’intégrité. « Avec intégrité – j’y inclus également la sincérité, la fidélité, la dévotion au devoir et un sens moral – on peut résister à toutes les difficultés, et finir par transformer l’épreuve en victoire, » écrira-t-il plus tard.

A la suite de sa préparation, Hiroo est envoyé en 1944 dans les Philippines pour exécuter sa première mission. Destination : l’île de Lubang, où il prend la tête de la Brigade Sugi (8ème division de l’Armée Impériale Japonaise). La Guerre du Pacifique, à l’époque, s’étend sur de nombreux archipels du continent, et cette île ne fait pas exception. Elle abrite de denses jungles, un terrain que les troupes américaines auront bien du mal à dompter… A son arrivée, Hiroo reçoit les ordres du major Yoshimi Tanigucci.

Il vous est formellement interdit de mourir de vos propres mains. Cela peut prendre trois, cinq ans, mais quoiqu’il arrive, nous reviendrons pour vous. D’ici là, tant que vous avez un soldat sous votre supervision, vous devez continuer à le commander.

Hiroo, comme à son habitude, écoute les ordres avec attention. Sa première pensée va à sa mère, qui lui a remis une dague afin qu’il s’ôte la vie dans l’éventualité où il serait capturé… Mais il arrête bientôt de tapoter nerveusement le couteau fixé à sa ceinture. Après tout, il a des hommes à mener. Ce qu’il fera avec brio jusqu’à ce que, près d’un an plus tard, les débarquements alliés ne déchirent les forces en présence. En février 1945, l’offensive américaine le prive de la majeure partie de ses troupes, qui s’est alors rendue ou sinon, a péri au combat. Seuls trois hommes accompagnent encore le lieutenant Onoda en date du 28 février.

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Les débarquements américains dans le Pacifique, 1942-1945. (Source: Wikimedia)

Hiroo décide donc de se retrancher, avec les restes de son bataillon, dans la jungle épaisse qui couvre l’île. Après tout, il dispose de l’avantage du terrain, et il leur sera facile, réduits à une poignée d’hommes, de disparaître dans la nature. Son esprit de samouraï prépare la contre-attaque. Il sait que la guerre « classique » vient de se terminer, laissant place à celle des guérillas et des escarmouches.

En octobre 1945, des avions survolant l’île déversent un flot de papiers sur les environs. L’une de ces brochures, ramassée par les compagnons d’infortune, annonce la fin de la Seconde Guerre Mondiale et en appelle aux hommes dissimulés dans les jungles de rejoindre les montagnes. Si la petite troupe paraît perplexe, Hiroo n’hésite pas longtemps. « C’est un piège, » conclut-il. Dans les mois à venir, il traitera de la même façon les autres indices lui annonçant l’avènement de la paix, pourtant signée depuis le 15 août. « Si la paix avait été conclue, se dit-il, comment se fait-il qu’on se fasse encore canarder ? »

Ce qu’il ignore, c’est que les combats dans lesquels il s’engage avec ses hommes n’ont pas vocation à bouleverser l’ordre mondial. Une fois, la troupe est prise pour cible par des pêcheurs, une autre, la police locale répond à leurs coups de feu. Presque trois décennies s’écoulent, caractérisées par le départ ou la mort des équipiers d’Hiroo. Lorsqu’un explorateur du nom de Norio Suzuki vient donc à sa rencontre, en 1974, c’est un homme errant seul dans les jungles insulaires dont il fait la connaissance.

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Les jungles du Pacifique peuvent sembler paradisiaques, mais elles étaient le théâtre d’une toute nouvelle stratégie de guerre, baptisée ‘jungle warfare’ pendant la Seconde Guerre Mondiale. Parmi les tactiques utilisées, le soutien aérien, le parachutage sur les arbres, la formation de guérillas…

Norio Suzuki est un sacré personnage. Avant de quitter son pays et d’abandonner ses études, le jeune homme a juré à ses amis de « rechercher le lieutenant Onoda, un panda, et l’abominable homme des neiges, dans cet ordre ». (Pour info, il rencontrera dans la suite de ses aventures un panda sauvage et jurera avoir aperçu le yéti dans les neiges de l’Himalaya, en 1975.) Bien que les deux hommes se lient rapidement d’amitié, Hiroo n’accepte pas pour autant de quitter la jungle. C’est alors que Suzuki a une idée : il contacte l’ancien commandant d’Onoda, le major Yoshimi Taniguchi, le même homme qui, en 1944, lui avait promis que « Nous reviendrons pour vous ».

Grâce aux efforts de l’explorateur et à une détermination décidément inébranlable, la promesse sera effectivement tenue vingt-neuf ans plus tard, lorsque l’ancien commandant retournera à Lubang pour y chercher son soldat le plus loyal.

Hiroo Onoda sort donc des jungles de l’île le 9 mars 1974, bien que méfiant qu’il s’agisse d’un nouveau piège destiné à le faire tomber dans les filets ennemis. Lorsqu’il aperçoit son supérieur, il le salue respectueusement : « Lieutenant Onoda au rapport, Monsieur, j’attends vos ordres. »

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Le Lieutenant Onoda rend son épée au Président des Philippines Ferdinand Marcos, le 11 mars 1974, comme preuve de sa reddition. (Source: Wikimedia)

Il faudra un peu de temps au dernier soldat nippon pour rattraper son retard sur l’actualité internationale. Depuis qu’il en est déconnecté, en effet, l’économie japonaise a miraculeusement prospéré, tandis que Kurosawa a été reconnu comme l’un des meilleurs réalisateurs de tous les temps. Hiroo a également manqué la crise des missiles de Cuba, les premiers hommes sur la Lune, et les balbutiements de la technologie digitale et d’Internet… Mais avant tout cela, l’homme apprend que le Japon a perdu la guerre. Et il éclate en sanglots. Drôle de héros, ce Hiroo.

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Pour mettre l’exil de Hiroo Onoda en perspective, on peut jeter un coup d’œil à la liste des films à succès qu’il aura eu à rattraper dès son retour : Le Parrain, Certains L’Aiment Chaud, Cendrillon, Les Dix Commandements, Ben-Hur, Le Livre de la Jungle,  Les 101 Dalmatiens… et bien d’autres !

 

 


Sources: