La Cour des Miracles

Bienvenue à Paris, à la fin du XVIIème siècle. Le règne du « Roi-Soleil » Louis XIV a illuminé le royaume de France, dont le rayonnement culturel et économique en fait l’une des nations les plus puissantes du continent. Des réceptions fastes rendent gloire à son influence rayonnante : le Roi se place en protecteur des arts et investit massivement dans l’érection de monuments fameux – le Palais de Versailles est agrandi, le Jardin des Tuileries et la Place Vendôme construits, tandis que les intellectuels les plus renommés de l’époque se pressent à la Cour.

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Jean-Léon Gérôme, Réception du Grand Condé à Versailles (1878). (Source: Wikipedia)

On pourrait en conclure que le niveau de vie du peuple s’en est amélioré, que la lumière émanant du trône soit allée éclairer jusqu’aux franges les plus défavorisées de la population ; mais au-delà de cette image bien lustrée d’une nation dorée, le fossé social se creusait entre les deux extrêmes du pays. Certains quartiers de Paris contrastaient en effet avec l’image ensoleillée du règne de Louis XIV : je vous y emmène aujourd’hui – dans la pénombre de la Cour des Miracles.

Cette dernière constituait une zone sombre et sale habitée par les nécessiteux de Paris et les exclus du partage des richesses. S’abritant dans des taudis insalubres et branlants, ce peuple de l’ombre rassemblait en majorité des villageois ayant fui leurs campagnes pour trouver du travail à la capitale, qui au final y vivait dans des conditions extrêmement précaires.

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Jacques Callot, Les Gueux (1622). (Source: Wikipédia)

Comme vous vous en doutez, la plupart d’entre eux comptaient sur l’aumône et la générosité populaire pour se nourrir, et afin d’apitoyer le plus possible de passants, ils avaient recours à des stratagèmes terribles, prétendant être victimes des pires handicaps ou malformations : si vous vous rendiez à la Cour des Miracles en plein jour, vous y croiseriez toute une collection de boiteux, de manchots, de culs-de-jatte et autres bossus.

Mais si vous vous y aventuriez à la tombée de la nuit, vous y rencontreriez un monde tout à fait différent. Les aveugles retrouveraient la vue, les boiteux rentreraient à toutes jambes chez eux, tandis que les bossus se redresseraient en empochant leurs gains. Vous seriez le témoin de nombreux miracles – qui donnèrent leur nom à l’endroit.

Cela va sans dire que Victor Hugo y trouva un foyer d’inspiration lorsqu’il rédigea son chef d’œuvre Le Bossu de Notre-Dame (1831), plus tard adapté en dessin animé chez Disney. En fait, une scène du film de 1996 représente un chœur de bohémiens mené par Clopin qui chante :

Peut-être connaissez-vous ce repaire
Que les gueux de Paris ont choisi pour tanière
Ce lieu est un tabernacle qu’on baptise
La Cour des Miracles !
Où les boiteux dansent
Où l’aveugle voit
Les morts font silence
Le silence de mort, les morts ont toujours tort.

Cette image d’une véritable société organisée dont la survie repose sur le vol et la duperie n’est en fait pas très éloignée de la réalité, comme le révèle l’historien français Henri Sauval. Les enfants font semblant d’être orphelins et tremblent dans le froid hivernal ; de faux anciens mercenaires du Roi exhibent des prétendues blessures de guerre, alors que d’autres miment avec brio des crises d’épilepsie ; des mendiants invitent les passants à tenter leur chance au jeu tandis que leurs complices coupent le cordon de leurs bourses.

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Illustration du roman de Victor Hugo Le Bossu de Notre-Dame (1831) par Gustave Doré. (Source: Wikipédia)

Chacun – homme, femme, enfant – a son rôle à jouer dans la Cour des Miracles, et on estime qu’environ une douzaine d’endroits comme cela coexistèrent dans le Paris du XVIIème siècle. (En effet, il ne s’agissait souvent pas d’un lieu précis, mais davantage d’une place qui faisait la part belle à ce genre d’activités, dont la plus fameuse, établie au Fief d’Alby, rassemblait plus de 500 familles vivant de larcins variés.) De plus, si quelqu’un voulait rejoindre ce « collectif du crime », il lui fallait passer par toute une série d’épreuves, une sorte de rite de passage en forme de passeport pour la fraude.

Comme l’a très bien décrit Sauval, un aspirant membre se devait de prouver son agilité à dérober les bourses et sa ténacité à résister aux coups… Mais la dernière épreuve, décisive, consistait à lui demander de dérober la bourse d’une personne à la vue de tous. Soudain, lorsque « l’apprenti » approchait sa future victime, ses complices s’écriaient à l’attention de cette dernière : « Attention ! Cet homme veut vous dérober votre argent ! » en livrant le pauvre homme incrédule à l’ire de la foule en colère.

Si le membre en devenir, roué de coups, ne dénonçait pas ses « partenaires », alors ces derniers rejoindraient le groupe et, profitant du chaos général pour voler quelques bourses bien garnies, l’entraîneraient loin de la furie populaire. Ainsi il serait accepté au sein de cette mafia des temps jadis, et considéré apte à utiliser ce talent comme gagne-pain quotidien…

Finalement, c’est en 1667 que Louis XIV ordonnera de démanteler ces sociétés secrètes, décourageant les criminels par le biais de punitions sévères ; ceci résulta en la disparition généralisée des rassemblements de gueux sur la Cour des Miracles.

Aujourd’hui, la lumière a percé les toits des taudis et inondé les endroits où ces places de légende se situaient. Mais si vous montez à la capitale, vous pouvez toujours faire une petite visite dans la « rue de la Petite-Truanderie » ou la « rue de la Grande-Truanderie » qui gardent le souvenir d’un royaume de brigands assombrissant le rayonnement du Roi-Soleil… Et ça, c’est un vrai miracle.

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Avant et après : évolution de l’emplacement de la Cour des Miracles dans le temps. (Crédit photo: Charles Marville/Les Editions du Mécène et Gilles Leimdorfer pour Le Figaro Magazine)

 


Sources: