Elles s’appellent Olympe de Gouges, Charlotte Corday, Louise de Kéralio ou Théroigne de Méricourt. Toutes ont laissé leur nom – sinon leur tête – dans le creuset de la Révolution française, au nom d’un espoir égalitaire… Mais les promesses féministes de 1789 ont-elles été tenues ?
La ferveur féministe qui s’exprime à la fin du XVIIIe siècle témoigne de la soumission dans laquelle les femmes sont maintenues sous l’Ancien Régime. En lointaines héritières de la loi salique, elles restent exclues de l’administration et du gouvernement. Tout humanistes qu’ils sont, les philosophes des Lumières les rabaissent toujours au rang de « moitié de l’homme » (Rousseau). Même les médecins du temps les disent « molles et sédentaires », tandis que d’autres blâment leur « tendresse excessive » ou leur « raison limitée », justifiant leur éloignement des centres de décision. Mais une étincelle peut suffire à tout faire sauter…
Émeutières et révoltées
A partir de 1788, un changement se profile : les cohortes de sans-culottes sont mixtes, les femmes participant grandement aux révoltes frumentaires qui traversent 1788 et 1789. A Grenoble en juin 1788, c’est une femme qui gifle le sergent Bernadotte, enclenchant la fameuse « Journée des Tuiles ». A Paris, les blanchisseuses des Halles se font remarquer par leur verve révolutionnaire. Symptomatique de l’engouement féminin dans la Révolution, la journée du 6 octobre 1789, durant laquelle les Parisiennes en colère viennent réclamer du pain sous les fenêtres de Versailles. Elles repartent avec la famille royale. « Les hommes ont fait le 14 juillet, écrira plus tard Jules Michelet, les femmes le 6 octobre. Les hommes ont pris la Bastille royale, les femmes ont pris la royauté elle-même. »

Et que reçoivent-elles en récompense de leur engagement ? Rien, du moins dans un premier temps. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen « oublie » de se prononcer sur leur sort. Sans rancune, les femmes décident d’investir, de leur propre chef, le champ politique. Elles forment des clubs, gagnent les salons révolutionnaires… mais les tribunes, notamment celles des Cordeliers et des Jacobins, leur restent interdites. Spécialiste des retournements de veste, Talleyrand écrit en 1791 : « Il nous semble incontestable que le bonheur commun, surtout celui des femmes demande qu’elles n’aspirent point à l’exercice des droits et des fonctions politiques ». Le bonheur commun… ou celui des hommes ?
Les espoirs douchés
Amère désillusion que celle des femmes sans-culottes à la clôture du premier chapitre de la Révolution. Elles n’ont toujours pas voix au chapitre. « En vérité, je suis bien ennuyée d’être une femme, dit Madame Roland : il me fallait une autre âme, ou un autre sexe, ou un autre siècle. Je devais naître femme spartiate ou romaine, ou du moins homme français. […] Mon esprit et mon cœur trouvent de toute part les entraves de l’opinion, les fers des préjugés, et toute ma force s’épuise à secouer vainement mes chaînes. » L’émancipation promise ne s’est pas matérialisée. Quelques-unes s’aventurent néanmoins dans les assemblées révolutionnaires, où on les affuble du sobriquet insultant de « tricoteuses », parce qu’on les imagine tricoter tandis que les motions défilent…

Alors le discours se durcit. Le 25 mars 1792, Théroigne de Méricourt proclame, devant la Société fraternelle des Minimes : « Armons-nous, nous en avons le droit par la nature et même par la loi. Montrons aux hommes que nous ne leur sommes inférieures ni en vertus ni en courage. Il est temps que les femmes sortent de leur honteuse nullité ». Mais le « sexe fort » se refuse à laisser aux femmes le droit de porter les armes ou d’intégrer la Garde Nationale… Pire, il contribue à décrédibiliser leur combat. Les femmes les plus virulentes sont moquées, qualifiées de « harpies », de « furies de guillotine ». Des tracts et des libelles érotiques circulent, emprisonnant les femmes dans leur propre corps et bâillonnant leurs revendications. Une rhétorique qui persistera jusqu’à nos jours…
Retour à la case départ
Alors, quel bilan dresser de l’impact de 1789 sur la cause féminine ? Quelques acquis sociaux sont à signaler. En avril 1791, la réforme des règles de succession permet aux garçons et aux filles de jouir des mêmes droits en matière d’héritage. La laïcisation du mariage, en septembre 1792, introduit un concept radical : le consentement mutuel obligatoire des deux époux, sonnant le glas (ou presque) des unions arrangées. Enfin, le divorce est légalisé, ouvrant enfin aux femmes la possibilité de se séparer d’époux violents, absents ou abusifs – preuve en est que l’immense majorité des demandes viendra des femmes ! C’est à peu près tout.

Car malgré le brasier de la Révolution, les espoirs d’émancipation de la gent féminine sont rapidement éteints et leurs militantes, muselées. Même Marie-Antoinette subit la misogynie des tribunaux révolutionnaires, accusée de relations incestueuses avec son propre fils ! Le 30 octobre 1793, les clubs féminins sont dissous. « Nous croyons qu’une femme ne doit pas sortir de sa famille pour s’immiscer dans les affaires du gouvernement » résume un député. « Leur présence dans les sociétés populaires donnerait une place active dans le gouvernement à des personnes plus exposées à l’erreur et à la séduction. » On dit même que certaines oratrices sont chassées à coups de fouet des gradins de la Convention ! En 1804, le Code Napoléon les réduit à l’état de mineures devant la loi. Et le carcan des femmes se referme encore davantage…
Bibliographie
- Yannick Ripa, Histoire féminine de la France, Belin, 2020.
- Jean-Clément Martin, La révolte brisée, Armand Colin, 2008.
- Mariette Sineau, « Les citoyennes n’ont pas pris la Bastille », L’Histoire n°160, novembre 1992.
- Guillaume Debat, « Les femmes pendant la Révolution Française », L’Histoire / Mondes Sociaux, 27 janvier 2020.
- Matei Cazacu, « L’antiféminisme du Moyen Âge à la Révolution », L’Histoire n°54, mars 1983.