La Véritable Histoire Des Thermopyles

L’onde de choc du film de Zack Snyder, 300, a brouillé les pistes. De cette bataille légendaire aux Thermopyles, qui opposa les Grecs et les Perses en 480 avant notre ère, que savons-nous réellement ? Tentative de reconstitution.

En 481 avant J.-C., Xerxès Ier, souverain de l’Empire Perse, règne sur un tiers du monde. Son appétit de conquête est toujours vivace : il louche notamment sur l’archipel grec, qui a résisté à l’invasion de son père dix ans plus tôt… Ruminant une vengeance qui coule dans son sang, le Roi des Rois orchestre une vaste campagne de conscription à travers son empire. En parallèle, il dépêche ses émissaires dans l’ensemble du monde hellène, réclamant à chacune des cités « de la terre et de l’eau » en signe de soumission. Celles qui refusent seront mises à feu et à sang.

UN PUITS C’EST TOUT. Xerxès se refuse toutefois à envoyer des ambassadeurs à Sparte et à Athènes, car ceux missionnés par Darius, son prédécesseur, n’en sont jamais revenus… A Sparte, on précipita le messager au fond d’un puits, lui intimant d’aller chercher « de la terre et de l’eau pour son maître ». (Photo: M. A. Bart, 1832/Domaine public)

Les forces en présence

Côté grec, la rumeur d’une invasion se précise. Les rapports des espions, incomplets, font frémir : on murmure que Xerxès marche à la tête d’un million d’hommes ! En réalité, le contingent perse compte entre cent-cinquante et trois cents mille lances, dont les dix mille Immortels (des soldats triés sur le volet qui sont aussitôt remplacés dès que l’un est blessé ou tué). Face à cette armée colossale, les cités-états de Grèce, pourtant rivales, décident d’unir leurs forces au printemps 480.

LIRE AUSSI : Le Jour où Jules César fut kidnappé par des piRATES

Les informateurs grecs sont formels : Xerxès a franchi l’Hellespont en mai et soumis la Thrace et la Macédoine. Même si Poséidon lui-même retarde l’envahisseur, les Perses se retrouvent bientôt aux portes de Grèce méridionale. Il faut agir vite. Le stratège athénien Thémistocle identifie un passage où les hoplites grecs pourront tenir tête aux armées d’invasion : le défilé des Thermopyles, un goulet d’étranglement situé dans les montagnes du Pinde. Léonidas, roi de Sparte, est chargé d’y mener les forces du Péloponnèse. Les sept mille soldats qu’il commande devront résister à un ennemi vingt fois supérieur en nombre…

L’aube de la bataille

Âgé d’une soixantaine d’années, le vieux roi Léonidas engage ses armées dans la passe des Thermopyles. Sa garde rapprochée est composée de trois cents Spartiates, dont il s’est assuré que chacun possède au moins un fils vivant afin de perpétuer leur nom. Léonidas en est convaincu : son armée court à une mort certaine. Mais la race spartiate n’est-elle pas instruite et préparée à cette fin ? Instillées dès le plus jeune âge, les notions de bravoure, d’honneur et de loyauté font la réputation des Lacédémoniens, et aucun ne craint la mort.

« Une femme de Lacédémone […] avait envoyé son fils au combat. Elle apprend qu’il est tué : en le mettant au monde, dit-elle, c’était bien mon intention d’en faire un homme qui n’hésiterait pas à mourir pour la patrie. » — Cicéron

À LA DURE. Les soldats spartiates doivent leur réputation à une éducation centrée sur l’art de la guerre. Soustraits à leur famille dès l’âge de sept ans, les jeunes garçons sont soumis à de rudes épreuves, notamment le rite de la kryptie, durant lequel ils doivent survivre en forêt pendant une année entière ! (Peinture: Luigi Mussini, L’Éducation à Sparte, XIXe/Domaine public)

Au mois d’août, les sept mille soldats de Léonidas attendent leurs adversaires dans l’ombre des montagnes. Le paysage est rugueux, stérile, pris en étau entre la mer et des roches crevassées. Disciplinés, les Spartiates pratiquent des exercices de gymnastique, affûtent leurs armes ou lustrent leurs cuirasses. Tous les Grecs ne démontrent pas ce calme olympien. Selon Plutarque, en proie à la panique, un soldat s’écrie : « à cause des flèches des Barbares, il est impossible de voir le Soleil ». « Ne serait-il pas agréable, alors, d’être à l’ombre pour les combattre ? » rétorque Léonidas. Voilà qui clôt les débats. A l’ouest, le cortège de Xerxès a pénétré dans les montagnes.

L’ouverture des hostilités

Conscient de sa supériorité numérique, le Roi des Rois attend pendant quatre jours que les hoplites grecs, qui bloquent son avancée au passage le plus étroit du défilé, prennent la fuite. Sans succès. Perdant patience, il décide d’y envoyer ses légions. Mais les assauts perses se brisent sur le mur de boucliers dressé par les Grecs, qui châtient leurs adversaires à coups de lances longues : selon l’historien perse Ctésias, la première vague aurait ainsi été « découpée en rubans ». Dans le camp spartiate, on dénombre seulement trois pertes, les flèches ennemies ricochant sur les casques et les armures en bronze. Déconfit, Xerxès ordonne le repli de ses troupes au crépuscule. « Tout le monde vit alors clairement, et le roi lui-même, qu’il avait beaucoup d’hommes, mais peu de soldats » s’enthousiasme Hérodote.

À COUVERT. Contrairement à une idée reçue popularisée par le film 300, les Spartiates ne combattaient pas à moitié nus mais couverts de solides plastrons en bronze. (Peinture: Jacques-Louis David, Léonidas aux Thermopyles, 1814 via Britannica/Domaine public)

Le second jour de la bataille est plus favorable au Roi des Rois. Un Grec nommé Éphialtès se propose, moyennant récompense, de lui montrer le chemin d’un sentier dérobé qui permettra de prendre les hommes de Léonidas à revers. Cette traîtrise scelle le sort des Grecs, et introduira le terme éphialtès comme synonyme de « cauchemar » dans la langue hellène. Désormais encerclés par les forces perses, les hommes du Péloponnèse se résolvent à une résistance héroïque et désespérée. Mais avant la bataille finale, Léonidas libère ses hommes de leurs obligations : ceux qui souhaitent déserter le champ de bataille sont libres de le faire. Et ce ne sont pas seulement trois cents Spartiates, mais bien deux mille Grecs qui choisissent d’affronter la mort à ses côtés. Au matin du troisième jour, Léonidas aurait harangué ses troupes en leur disant : « mangez bien, car ce soir, nous dînerons chez Hadès ».

Épilogue

La dernière bataille, qui se tient dans un espace moins confiné, provoque un chaos indescriptible. « Les Grecs, s’attendant à une mort certaine de la part de ceux qui avaient fait le tour de la montagne, employaient tout ce qu’ils avaient de forces contre les Barbares, comme des gens désespérés et qui ne font aucun cas de la vie. Déjà la plupart avaient leurs piques brisées, et ne se servaient plus contre les Perses que de leurs épées. » On raconte qu’ils poursuivent le combat à mains nues, voire à coups de dents ! Cependant la force de frappe de Xerxès finit par avoir raison des derniers combattants : depuis la colline de Kolonos, les archers perses mitraillent les survivants jusqu’au dernier. Criblé de traits, Léonidas est tué au milieu de ses hommes, dans le ventre de la mêlée.

LA COLLINE A DES PIEUX. La colline de Kolonos restera truffée de pointes de flèche en bronze jusqu’à ce que les archéologues les excavent en 1939, révélant le légendaire champ de bataille.

A l’issue du troisième jour de combats, vingt mille cadavres perses s’entassent dans les montagnes. Mêlés aux corps mutilés, les dépouilles de quatre mille Grecs – dont celle de Léonidas, décapitée et crucifiée sur ordre de Xerxès. Plus tard, ses ossements seront récupérés et honorés par les Lacédémoniens, qui feront de son sacrifice un symbole. La mort du Roi de Sparte et de ses guerriers n’est pas vaine : elle permet à l’arrière-garde grecque de s’enfuir – trois mille hommes au bas mot – et, en retardant la progression de Xerxès, donne le temps au reste des troupes coalisées d’organiser la défense de l’Isthme de Corinthe. Face aux Athéniens, Xerxès essuie deux revers foudroyants à Salamine (septembre 480) et Platées (août 479), et doit mettre fin à son projet d’invasion.

Quelle place occupent donc les Thermopyles dans la fresque violente des guerres médiques ? Durant ces trois jours de l’été 480, le sort du monde vacilla. On peut imaginer que, si l’Empire Perse avait alors conquis la Grèce, la civilisation hellène, berceau de la culture occidentale, n’aurait jamais été diffusée par les Romains… et que les mots démocratie, Europe ou galaxie n’auraient pas conquis notre vocabulaire. Pour faire perdurer la mémoire de ces résistants héroïques, le poète Simonide a fait graver ces vers dans la roche des Thermopyles :

« Étranger, va dire à Lacédémone
Que nous gisons ici par obéissance à ses lois. »


Bibliographie

  • Hérodote, Histoires, Livre VIII, Paris : Charpentier, 1850.
  • Luc Mary, Les Thermopyles, la plus célèbre bataille de l’Antiquité, Larousse, 2011.
  • Peter Green, The Greco-Persian Wars, University of California Press, 1996.
  • Paul Cartledge, Thermopylae: the battle that changed the world, Overlook Press, 2006.
  • Rupert Matthews, The Battle of Thermopylae: A Campaign in Context, History Press, 2008.

Cover picture : Zack Snyder’s 300 / Warner Bros. Montage by The Storyteller’s Hat.