Marie Marvingt, « La Fiancée du Danger »

Soldat, alpiniste, pionnière de l’aviation, championne cycliste, journaliste… Marie Marvingt a triomphé dans la plupart des disciplines avec, en fil rouge, le besoin de se dépasser et d’aller au-devant du danger. A travers son parcours romanesque, l’aventurière a surtout transcendé la condition des femmes du XXe siècle pour délivrer un message précurseur…

Marie Félicie Élisabeth Marvingt aurait dû grandir avec trois frères aînés ; mais Louis, Charles et Eugène, les premiers enfants du couple Marvingt, décèdent dans leur petite enfance. Nous sommes en 1875, et la mortalité infantile accable encore bien des familles… « Le berceau est pour la plupart des enfants un petit moment de lumière entre la nuit et la nuit » écrivait Michelet vingt ans plus tôt. Qu’à cela ne tienne : Marie Marvingt accompagnera tout de même son père dans les escapades aventureuses qu’il destinait à ses garçons…

Une enfance pour entraînement

Car Félix-Constant Marvingt est un grand amateur de sports. Surtout lorsque le danger s’en mêle. Alors il initie très tôt Marie aux disciplines qui lui sont chères : elle apprend à nager en même temps qu’elle apprend à marcher, et peut ainsi crawler quatre kilomètres dès l’âge de cinq ans. Mais elle ne se complaît pas dans ses premiers succès : « Marie casse-cou » s’adonne aussi à l’escalade, à l’équitation, à la gymnastique, au trapèze et au funambulisme. A quinze ans, elle parcourt les quatre cents kilomètres qui relient Nancy à Coblence (Allemagne) en canoé !

QUEL CIRQUE ! C’est après une sortie scolaire que Marie se passionne pour l’univers du cirque. Son père finit par accepter qu’elle reçoive des leçons au sein du cirque Rancy, où elle apprend entre autres le trapèze, le funambulisme, l’équitation… et le dressage ! (Photo: BnF)

Encouragé par son père, le goût du risque et du défi la gouvernent déjà – plus haut, plus loin, plus vite. Une attitude qui est loin de plaire à tout le monde : les Nancéens sont scandalisés lorsqu’ils voient débouler cette adolescente, cheveux bruns au vent, au guidon de sa bicyclette… Ce n’est pas là un comportement qui sied à une fille bien élevée ! Bien élevée, pourtant, Marie l’est, littéralement. Elle s’initie aux sports alpins, et s’élève avec grâce sur les massifs. Au passage, elle est l’une des premières femmes à obtenir en 1899 un « certificat de capacité » (l’équivalent du permis de conduire) et s’inscrit à la faculté, où elle apprend cinq langues, étudie la littérature, la médecine et le droit.

Marie à tous prix !

Nous sommes déjà au début du XXe siècle. Marie a vingt-cinq ans : c’est le moment rêvé pour envisager de fonder une famille… En tout cas, c’est dans l’ordre des choses. Mais la jeune femme a d’autres plans en tête, et refuse catégoriquement de se marier. La compétition l’attend : elle participe à plusieurs épreuves de natation et de cyclisme. Dans cette dernière discipline, ralentie par le port de la jupe et défendue de revêtir un pantalon (les mœurs du temps le réservent aux hommes), elle invente la jupe-culotte qui lui permet d’améliorer nettement ses performances.

REINE DES NEIGES. A la fin des années 1910, Marie Marvingt, alors trentenaire, s’impose dans plusieurs sports alpins : ski, patinage de vitesse, bobsleigh, patinage artistique. Elle rafle vingt médailles d’or à Chamonix et remporte la coupe du monde de bobsleigh féminin en janvier 1910. (Photo (c) Agence Rol, 12608/BnF)

En 1908, Marie pose sa candidature pour participer au Tour de France, mais les organisateurs la refusent. C’est une compétition exclusivement masculine, après tout ! Tant pis, elle n’y concourra pas officiellement : mais elle enfourche tout de même sa bicyclette quelques minutes après le départ et suit le même tracé que les concurrents… Marie finira par franchir, quoique officieusement, la ligne d’arrivée, comme trente-six autres coureurs (sur les cent quatorze engagés dans la course). Sa devise : « Je décide de faire mieux, encore et toujours ! »

Marie avec un grand air

Marie s’est fait un nom sur les circuits cyclistes, dans les massifs alpins et les compétitions de natation. Ses succès vont-ils tempérer sa soif d’aventures ? Voire ! Initiée au vol en ballon en 1901, elle décide de défrayer la chronique – sportive – dans les airs. A bord de sa montgolfière, L’Étoile Filante (un nom qui lui va comme un gant), celle qu’on surnommé bientôt « la fiancée du danger » traverse la Manche en octobre 1909. Pour ses exploits, on lui décerne en 1910 « la grande médaille d’or de l’Académie des Sports », prix qui n’avait jusqu’à présent jamais récompensé une femme… ni un homme !

Marie s’essaye ensuite au pilotage des avions sous la supervision du célèbre Hubert Latham, et obtient son brevet de pilote fin 1910. Après une sortie de cinquante-trois minutes, elle établit un nouveau record qui servira de jalon pour les épreuves féminines : la voilà mordue, elle ne lâchera pas le manche d’un avion pendant les trois années suivantes ! Si la plupart des neuf cents sorties qu’elle effectue se déroulent sans accrocs, les accidents ne l’épargnent pas. En 1913, surprise par le brouillard, elle est contrainte de se poser en catastrophe et son appareil se retourne, la projetant face contre terre… Elle croit attendre la mort pendant plus d’une demi-heure avant d’être secourue par des agriculteurs.

« Une fois de plus je reste la fiancée du danger, mais le mariage n’a pas été loin… […] Mon casque était complètement enfoncé dans la terre, mon visage baignait dans le sang. Écrasée sous la masse de mon appareil, je respirais difficilement. Heureusement qu’avec ma main gauche, je pus creuser la terre près de ma bouche pour me permettre d’aspirer un peu d’air. »

COMME UN AVION SANS ELLE. Lors d’un autre incident, le biplane de Marie s’écrase dans un champ. Un cultivateur, témoin de la scène, s’écrie : « Mon Dieu, il est mort ». Une voix étouffée à l’intérieur du cockpit lui répond : « Non, elle n’est pas morte, et surtout, ne fumez pas ». Elle était couverte d’essence… (Photo: BCU 14-18)

Poilue incognito

Mais la Première Guerre Mondiale force Marie à mettre pied à terre, du moins temporairement. La fiancée du danger souhaite, bien sûr, s’engager dans l’armée, mais le haut commandement le lui refuse. Elle a tout de même l’occasion de participer à deux opérations de bombardement sur Metz, pour remplacer un pilote blessé (et pour lesquelles elle obtiendra la Croix de Guerre). Chassée des rangs de l’armée française, elle mobilise ses compétences en médecine et devient l’assistante d’un chirurgien à Nancy. Ce sont les années sombres d’une ville en guerre, bombardée comme tant d’autres sur le couloir qui relie l’Allemagne à Paris.

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Deux ans plus tard, n’y tenant plus, Marie se déguise en homme pour intégrer le 42e bataillon des chasseurs à pied : elle s’y fait appeler Beaulieu. Elle passe inaperçue pendant plusieurs semaines, et l’adrénaline la tient en haleine pendant quarante-sept jours de front. Marie finit par être démasquée et, après moult délibérations, le maréchal Foch l’autorise à évacuer les blessés à ski, dans les Dolomites italiens.

POILUE. Marie Marvingt (à gauche) est démasquée par un de ses cousins, colonel dans l’armée. (Photo: Le Miroir des Sports, 28/10/1920 via BnF)

Les ailes qui sauvent

Juste avant la guerre, Marie avait conçu, en collaboration avec l’ingénieur Louis Béchereau, un prototype avant-gardiste d’avion-ambulance : le conflit mettant son projet entre parenthèses, elle s’y investit de nouveau après l’armistice de 1918. Devenue journaliste, elle organise une tournée de conférences à travers le monde qui lui servent de tribunes pour promouvoir l’aviation sanitaire. De passage en Afrique du Nord, elle propose notamment d’équiper ses ambulances de l’air de skis métalliques, afin qu’ils se posent sur les sables du Sahara… On la voit justement mettre son expérience des sports d’hiver à profit, formant les locaux au « ski des sables ».

C’est son occupation à plein temps dans l’entre-deux guerres, et elle produit en 1935 un documentaire militant intitulé « Les ailes qui sauvent ». La même année, « la femme la plus extraordinaire depuis Jeanne d’Arc » est nommée Chevalier de la Légion d’Honneur. Mais le continent s’enfonce une fois de plus dans la guerre. Lorsque le second conflit mondial éclate, Marie s’investit sur le champ de bataille en tant qu’infirmière de l’air, inventant un nouveau type de suture qui limite les risques d’infection. Ce sont parmi ses ultimes faits d’armes…

ELLE NE MANQUE PAS D’AIR. Pionnière de l’aviation sanitaire, Marie Marvingt a influencé jusqu’aux procédures des secouristes de l’air modernes ! (Photo via HDTSE)

Secrets de vitalité

A la fin de la guerre, Marie a déjà soixante-dix ans. Cette femme aux mille vies n’a occupé qu’un emploi fixe – celui de journaliste – et ne touche en conséquence pas la moindre pension de retraite. Payée pour donner quelques conférences, la misère ne l’épargne pas. Qui l’eût cru d’une sportive accomplie qui cumule plus de trente distinctions ? Attention, Marie n’abandonne pas la compétition pour autant, et passe son brevet de pilote d’hélicoptère en 1959… Elle a quatre-vingt-quatre ans lorsqu’elle franchit pour la première fois le mur du son ! Et à qui lui demande les secrets de sa bonne santé, elle répond sans détour : « Pas d’apéritif, manger peu et souvent, et surtout pas de bœuf bouilli ! »  A bon entendeur…

MARVINGT SANS MARI. Durant toute sa vie, Marie Marvingt ne sera pas mariée et n’aura pas d’enfants. Elle en a cependant fréquenté des centaines lors de ses interventions dans les écoles. « Les enfants de tous les pays du monde ont été un peu les miens, dira-t-elle. J’ai cherché à leur inculquer l’amour du bien, de l’idéal, de l’action utile. » (Photo (c) L’Est Républicain)

En 1961, preuve qu’elle n’a pas perdu son bon coup de pédale, Marie Marvingt relie Nancy et Paris en vélo. Nul doute qu’elle continue, comme au temps de sa jeunesse nancéienne, à surprendre les riverains par son explosivité… Un talent qu’elle continuera d’honorer jusqu’à sa mort, en 1963. Cinq ans plus tôt, lors d’une rare interview télévisée, elle confiait à une journaliste : « J’aime le vélo par-dessus tout, parce que cela me donne une action, une activité, et puis ça me rend très service. Parce que je n’ai pas les moyens de me payer les taxis, et puis… je les dépasse tous ! »


Merci à Clémence pour avoir suggéré cet article !


Bibliographie