Dans la famille Sanson, la profession de bourreau s’est transmise de père en fils pendant près de deux siècles. En marge des grands procès de l’Ancien Régime, sept générations successives ont régné sur l’échafaud… Itinéraire d’une lignée qui a fait tourner (et tomber) bien des têtes.
Sous l’Ancien Régime, le couperet de la justice a un visage : celui du bourreau qui, contrairement à la représentation populaire, ne porte pas de cagoule. Quand il ne soumet pas à la « question » les condamnés récalcitrants, ce dernier décapite, pend, roue, écartèle ou jette au bûcher. C’est une figure de premier plan, le bras armé de la haute justice ; et si des centaines de badauds s’attroupent autour de l’échafaud pour assister aux exécutions, le bourreau ne jouit pas pour autant d’une grande popularité parmi ses contemporains.

« La mort n’a pas d’amis » rappelle un vieux proverbe. Les exécuteurs sont des individus que l’on préfère éviter. Le sang qu’ils font verser a tôt fait de souiller leur nom et leur réputation. Marginalisés, ils logent aux portes de la ville – souvent dans des masures humides au pied des fossés –, partageant leurs quartiers avec les prostituées et les lépreux. Tout contact avec eux est synonyme de mauvaise fortune. Un jour d’exécution, le boulanger réserve une baguette pour le bourreau en la retournant ; cette tradition a muté aujourd’hui en superstition malheureuse.
La mort leur va si bien
Pourquoi diable choisirait-on profession aussi infâme ? A dire vrai, ce n’est pas par vocation que Charles Sanson épouse ce curieux gagne-pain… mais par ses noces avec Marguerite Jouënne, la fille du bourreau de Dieppe. En servant son beau-père sur l’échafaud, passant habilement la corde au cou de ses « patients », le Normand découvre les ficelles du métier. A ses risques et périls, ainsi qu’en témoigne ce fait divers de 1675 : « l’exécuteur des hautes œuvres ayant forcé son gendre, nouvellement marié, à porter un coup de barre au patient, ledit gendre tomba en pâmoison et fut couvert de huées par la foule. » Drôle de cadeau de mariage !
Dix ans plus tard, ses valises bourrées d’ustensiles pointus, Charles monte à la capitale pour briguer un travail. Il est à nouveau employé en tant qu’aide-bourreau (expérience oblige), jusqu’à ce que son supérieur tombe dans les griffes de la justice – ce dernier s’avérait être un proxénète de sinistre réputation ! Charles Sanson prend donc du galon et réalise sa première exécution en 1688. La fonction gagne peu ; pour joindre les deux bouts, il vend des cadavres à la faculté de médecine de Paris, friande de dissections.

Ça va trancher, chérie
Charles Sanson, deuxième du nom, accompagne son père sur l’échafaud dès l’âge de quinze ans. Rien d’étonnant à ce qu’il lui succède au début du siècle suivant ; en 1707, Charles épouse la sœur du bourreau de Melun. (Rejetés par la plupart de leurs concitoyens, les exécuteurs se marient souvent entre eux, ce qui a entretenu nombre de « dynasties » de bourreaux.) En 1721, Charles fils connaît son heure de gloire en rouant vif Cartouche, le célèbre voleur qui avait longtemps échappé à la capture. Mais il meurt prématurément sept ans plus tard, laissant derrière lui Charles Jean-Baptiste, son marmot de sept ans, à qui l’on promet l’office paternel dès qu’il aura atteint sa majorité.

En 1739, donc, Charles Jean-Baptiste marche sur les traces de son père et de son grand-père. Sa carrière est toutefois entachée d’une « faute professionnelle » mémorable : en 1751, lors d’une pendaison donnée à Paris, la corde se rompt deux fois successivement. Vexé, Jean-Baptiste étrangle le condamné de ses propres mains avant de pendre la victime, « quoique morte », pour faire bonne mesure… Il sera écroué pour sa peine. Gravement handicapé par une attaque, il passe le relais à son fils aîné Charles-Henri en 1778. Ses six autres rejetons exerceront le même métier à Blois, Versailles, Montpellier, Provins, Reims et Dijon. Une fratrie liée par le sang à plus d’un titre.
Charles-Henri, bourreau surmené
Une tragédie endeuille les débuts du nouveau bourreau de Paris. Lors d’une « décollation » de routine, son second fils Gabriel brandit la tête d’un faux-monnayeur vers la foule, comme le veut l’usage ; mais il trébuche, tombe de l’échafaud et se fend le crâne. Cet accident n’empêchera pas Charles-Henri de devenir l’un des bourreaux les plus prolifiques de l’Histoire de France ! Quelques années après sa prise de fonctions, la loi du 6 octobre 1791 proclame que « Tout condamné aura la tête tranchée ». Le bourreau, anticipant son surmenage, contribue au développement d’une machine sinistre : la guillotine.
![Egte_afbeelding_van_de_guillôtine_[...]_btv1b6948826f_1](https://thestorytellershatfr.files.wordpress.com/2019/09/egte_afbeelding_van_de_guillc3b4tine_..._btv1b6948826f_1.jpeg)
Conformément au souhait du Dr. Joseph Guillotin, qui souhaitait épargner aux condamnés une mort douloureuse (Charles-Henri avait lui-même raté en 1766 l’exécution de Lally-Tollendal, assénant plusieurs coups d’épée maladroits sous les hurlements de la foule), la guillotine entre en fabrication. Testée sur des moutons puis des cadavres humains, elle est perfectionnée sous la supervision du bourreau, avant de passer le cap d’une première exécution publique en 1792.
C’est une machine démocratique : criminels, monarques, révolutionnaires passeront sous son couperet… Au total, « l’exécuteur des hautes œuvres » verra tomber 3000 têtes, dont celles de Louis XVI, de Marie-Antoinette (qui prononcera ses dernières paroles à son intention), de Robespierre, de Danton… Ce dernier lui adresse d’ailleurs une remarque pleine de sang-froid quelques minutes avant son exécution : « tu montreras ma tête au peuple, elle en vaut bien la peine ». Devant la mort, ironie du sort, certains savent garder la tête sur les épaules.

Charles-Henri contribue malgré tout à rendre sa profession plus respectable. Rompant avec l’isolement de ses aïeux, il a élu domicile dans une grande bâtisse animée de domestiques, située (ça ne s’invente pas) rue de l’Enfer… Habillé en gentilhomme, il distribue le pain aux pauvres et contribue aux bonnes œuvres. Il est également plein d’humanité sur l’échafaud, et ne donne pas comme certains de ses prédécesseurs dans la cruauté gratuite ou le spectacle morbide. En 1795, fatigué des têtes qu’il « décolle » à tour de manivelle, Charles-Henri demande sa démission au Tribunal Révolutionnaire ; son premier fils, Henry, lui succède.
Couic de fin
Henry poursuivra l’œuvre de son père pendant trente-cinq ans, à un rythme toutefois moins effréné. La Terreur et ses paniers pleins de têtes sont passés. Son fils Henri-Clément sera le dernier représentant de la « dynastie » Sanson, qui prend part à seulement dix-huit exécutions. L’une d’entre elles reste célèbre : c’est celle de Lacenaire, criminel de renom qui a acquis une certaine notoriété par ses sorties désopilantes, relayées par la presse de l’époque. « J’arrive à la mort par une mauvaise route, j’y monte par un escalier » aurait-il déclaré au pied de l’échafaud…

Ce n’est pas dans le cadre de sa profession qu’Henri-Clément défraye la chronique : parieur invétéré, grand habitué du Jardin Turc, il perd des sommes considérables. Le bourreau gage même la guillotine pour éponger une dette de jeu et sortir de prison en 1847… Soupçonné de « pédérastie », il est révoqué. Ainsi prend fin la longue lignée de bourreaux qui avait débuté avec Charles, son arrière-arrière-arrière-grand-père ! Dans ses Mémoires (1862), Henri-Clément se souvient du premier geste qu’il accomplit après avoir reçu sa révocation :
« Alors, tirant le cordon d’une sonnette, je me fis apporter une cuvette et de l’eau, et là, seul, devant Dieu qui voit au fond des cœurs et dans les replis les plus cachés de la conscience, je lavai solennellement ces mains que le sang de mes semblables ne devait plus souiller. »
Aussitôt, la lignée de bourreaux qui avait perduré pendant cent cinquante-neuf ans s’arrête net. Cela tombe bien : seules deux filles survivent à Henri-Clément. La cadette épouse un employé de bureau, l’aînée un chirurgien fils de bourreau. Les liens du sang, c’est sacré.
Merci à l’Histoire en Citations pour leur collaboration amicale !
(Nombre de citations présentées ici sont extraites de leur site captivant.)
Bibliographie
- Frédéric Armand, Les bourreaux en France. Du Moyen Âge à l’abolition de la peine de mort (2012), Perrin.
- Sonya Vatomsky, « The Executioners Who Inherited Their Jobs », 26 janvier 2018, Smithonian.com.
- Jacques Delarue, Le métier de bourreau : du Moyen Âge à aujourd’hui (1979), Fayard.
- Henri-Clément Sanson, Sept générations d’exécuteurs : Mémoires des Sanson (1862), Paris : Dupray de la Mahérie et Cie., accessible sur Gallica.
- Emma Bryce, « What Was It Like to Be an Executioner in the Middle Ages? », août 2019, LiveScience.
- Arthur Isak Applbaum, “Professional Detachment: The Executioner of Paris”, Harvard Law Review, vol. 109, no. 2, 1995, pp. 458–486. JSTOR.