Le Gendarme des Extraterrestres

Créé en 1977 alors qu’une vague d’OVNI déferlait sur l’Hexagone, le GEIPAN s’est donné pour mission d’analyser les « phénomènes aérospatiaux non identifiés ». Éclairage avec son directeur, Frédéric Courtade.

C’est un sujet qui défraie la chronique dans les années 1970 : les apparitions d’objets volants non identifiés (OVNI) semblent se multiplier à une vitesse alarmante. Il suffit de parcourir les gros titres pour s’en convaincre : « Des OVNI dans le ciel de Perpignan ». « Traces mystérieuses dans un pré du Jura ». « Tulle : des OVNI aperçus par des écoliers ». Relayés par les médias, ces témoignages enflamment les imaginations. S’agit-il d’avions-espions soviétiques ? De bombardiers d’un nouveau genre ? De créatures venues d’ailleurs ?

Pour faire la lumière sur les phénomènes étranges auxquels ils sont confrontés, des Français et des Françaises ordinaires investissent les plateaux de télévision, se regroupent en associations d’ufologues amateurs, publient leurs témoignages dans des livres. Quelques années après l’alunissage d’Apollo XI, le monde a encore la tête dans les étoiles ; en parallèle, la culture du secret qui pèse sur la Guerre Froide entretient un climat de méfiance vis-à-vis des institutions établies. Peut-être pour tempérer l’effusion médiatique, l’État français intervient officiellement le 1er mai 1977 en fondant le GEPAN (aujourd’hui GEIPAN), placé sous la supervision du Centre National d’Études Spatiales. Sa mission : collecter et analyser les « phénomènes aérospatiaux non identifiés » (PAN). Une première mondiale !

BUREAU DES LÉGENDES. Créée par Clémence Dargent et Martin Douaire, la série « OVNI(s) » (réal. Antony Cordier) dramatise la création du GEPAN. « Les deux premiers épisodes de la série illustrent bien le contexte de la création de l’organisme, » souligne Frédéric Courtade. (Photo Ⓒ CANAL+)

La France à l’initiative

Si les OVNI ne font plus aujourd’hui partie des priorités nationales, ils intéressent à l’époque les plus hautes instances du pays. En février 1974, le ministre de la Défense Robert Galley concède sur les ondes de France Inter qu’il « faut adopter vis-à-vis de ces phénomènes une attitude d’esprit extrêmement ouverte ». « C’était la vision du Ministère de la Défense qu’il fallait avoir une parole officielle, souligne Frédéric Courtade, directeur actuel du GEIPAN. Cette proposition trouva un écho favorable auprès du président du CNES, qui donna une caution scientifique à l’organisation. » Dans cet esprit de rigueur, on préfère parler de PAN que d’OVNI. « Dans le langage courant, on a fini par associer le terme aux petits hommes verts, sourit Frédéric Courtade. Or, il n’y a pas que les extraterrestres derrière les OVNI. »

Basé à Toulouse, le GEPAN entend dès sa création adopter une démarche rigoureuse, s’entourant d’un comité scientifique avec des experts de tous horizons – notamment Hubert Curien, le père du projet Ariane – et de partenaires locaux comme la gendarmerie nationale, l’aviation civile, l’armée de l’air et les services de Météo-France. Sans oublier de nombreux enquêteurs bénévoles qui se rendent sur les lieux, prennent des photographies, effectuent des prélèvements, interrogent les témoins…

Une fois les indices rassemblés, les cas traités sont classés en quatre catégories allant de A à D : A pour les cas expliqués par des preuves scientifiques, D pour ceux qui demeurent inexpliqués. « Les cas D étaient les plus dignes d’intérêt, rappelle Frédéric Courtade, car ce sont ceux qui présentent le plus fort degré d’étrangeté. »

3% de cas sans réponse

A l’époque, les cas D concernaient environ 15 à 20% des dossiers traités par le GEPAN. Depuis lors, sa méthodologie s’est affinée et professionnalisée. Grâce à la collaboration des psychologues du CNRS et de l’Université de Toulouse, elle s’est enrichie d’une dimension psychosociale qui vise à repérer les biais cognitifs qui conduiraient les témoins à une narration erronée de leurs souvenirs. Son comité d’experts, composé de sommités du monde aérospatial mais aussi de psychologues et de sociologues, se réunit deux à trois fois par an pour échanger sur les cas inexpliqués. « Aujourd’hui, nous avons encore 102 cas non identifiés, soit un peu plus de 3% de l’ensemble » estime Frédéric Courtade.

ENQUÊTE DE TERRAIN. Sur cette photographie, un enquêteur du SEPRA (successeur du GEPAN, ancêtre du GEIPAN) effectue des prélèvements dans l’affaire du « trou normand » de 1989. Un champ avait été découvert mystérieusement brûlé : l’incendie, ont conclu les enquêteurs, a été causé par du kérosène largué par un avion et enflammé sur une ligne à haute tension. (Photo © CNES, 1989)

Bien entendu, il reste dans les archives de l’organisation quelques dossiers déroutants. La rencontre de Cussac (1967) ou l’affaire de Trans-en-Provence (1981) alimentent encore, de nos jours, les conversations et les conférences ufologiques de par le monde. Les phénomènes qui semblent transcender les règles élémentaires de la physique – vitesses hypersoniques, volatilisation soudaine d’objets, déplacements sans bruit ou traces radar – sont ceux qui intriguent le plus les chercheurs… N’en déplaise aux ufologues amateurs, toutefois, la plupart des « anomalies » trouvent généralement une explication rationnelle : désintégration de débris spatiaux, illusions d’optique, passage d’un satellite ou lanterne asiatique égarée…

En 2005, le GEPAN s’est métamorphosé en GEIPAN, ajoutant à son acronyme la lettre I pour affirmer sa mission d’information et de sensibilisation. Cependant, son caractère officiel lui vaut régulièrement la méfiance du grand public : « comme on dénigre beaucoup le travail de l’État, le GEIPAN en fait aussi les frais » soupire Frédéric Courtade. Pour éviter qu’on lui reproche son opacité, la structure a décidé en 2008 de rendre publiques ses enquêtes – préalablement anonymisées – sur son site web. Un succès inattendu : « en quelques heures, le site a crashé devant le nombre de connexions » conclut le directeur du GEIPAN. Aujourd’hui, l’organisme reçoit environ 800 signalements par an.

Initialement publié sur Slate.fr