En juin 1944, un Afro-Américain de 14 ans est exécuté après un procès expéditif teinté de haine raciale. Une procédure finira par annuler sa condamnation… soixante-dix ans après les faits.
Le vendredi est le jour des exécutions en Caroline du Sud. Et ce vendredi 16 juin 1944, les témoins présents dans la chambre d’exécution du pénitencier de Columbia ne sont pas près de l’oublier. Il est 7h30 lorsqu’une silhouette frêle pénètre dans la pièce. Un Afro-Américain de quatorze ans, nageant dans son uniforme rayé noir et blanc. Du haut de son mètre cinquante, George Stinney semble trop petit pour la chaise électrique : la rumeur prétend que ses geôliers l’ont réhaussé en l’asseyant sur une Bible. Avec des gestes précis, méticuleux, les gardiens font le nécessaire. Les tibias et les poignets de l’accusé sont sanglés, son corps bardé d’électrodes, et le visage de George Stinney disparaît sous un masque. Le bourreau regarde sa montre : il est l’heure. On abaisse une manette et 2 400 volts traversent le corps du condamné. Les lumières vacillent. Quatre minutes plus tard, un médecin prononce la mort de l’adolescent.

Pour les tribunaux de Caroline du Sud, c’est une grande première. Non seulement on vient d’exécuter le plus jeune condamné de l’histoire de l’État, mais en plus, son procès a été remarquablement expéditif : il n’a duré que trois heures, dont dix minutes de délibération. Entre son arrestation et son dernier soupir, 83 jours se sont écoulés. Et cette économie de moyens, si elle flatte sans doute le contribuable, n’a pas épargné à Stinney un procès larvé de raccourcis et de vices de forme.
Condamné à mort… et à tort ?
Revenons sur les faits. Trois mois plus tôt, le 23 mars, la police découvrait les corps sans vie de deux jeunes filles blanches dans un fossé près de la ville d’Alcolu. Âgées de 11 et 7 ans, Betty June Binnicker et Mary Emma Thames ont été battues à mort, leurs crânes fracassés avec un objet contondant. Après l’horreur, puis l’angoisse venue étrangler la communauté locale, la colère prend le dessus. Les habitants réclament un coupable. Dans ce coin perdu de Caroline du Sud, où les lois ségrégationnistes gouvernent encore les rapports de force, l’événement est évidemment teinté de haine raciale. La bourgade de 1 700 âmes est séparée en deux : deux églises, deux écoles, où les Noirs et les Blancs ont leur place distincte, comme sur les carreaux d’un échiquier. Or on a retrouvé les cadavres du côté « noir » de la ville, et George Stinney semble être le dernier à les avoir vues en vie.
La nouvelle de l’arrestation du garçon fait rapidement le tour du village. Des policiers l’ont raflé, lui et son frère aîné, à leur domicile. La procédure est pour le moins expéditive : interrogé par les autorités dans une pièce fermée, sans que ses parents ni un avocat ne soient présents, Stinney passe aux aveux. C’est là, affirmera le shérif du comté, qu’il aurait confessé le double-meurtre, indiquant notamment l’endroit où il avait abandonné l’arme du crime – une barre de chemin de fer.
Un procès express
Après l’arrestation de George Stinney, la machinerie judiciaire se met en branle. Le procès s’ouvre le 24 avril 1944 au palais de justice du comté. Pour assurer sa défense, l’accusé est aux mains d’un avocat fiscaliste qui n’a jamais plaidé la moindre affaire criminelle. Bien entendu, aucun Afro-Américain n’est autorisé à pénétrer dans le tribunal. Le jury, composé de douze hommes blancs, tranche rapidement : les délibérations sont expédiées en dix minutes, et l’accusé reconnu coupable à l’unanimité. Son avocat refuse de faire appel. Le reste de l’histoire est facile à deviner. Sous pression des résidents, qui menacent de le lyncher, l’adolescent est transféré au pénitencier de Columbia, à cent kilomètres d’Alcolu, où la sentence doit être exécutée. La famille Stinney est contrainte de déménager face à une communauté locale de plus en plus hostile.
« À l’époque, quand on était blanc, on avait raison, quand on était noir, on avait tort » – Katherine Stinney, sœur de George
Reste un dernier espoir : le gouverneur de Caroline du Sud peut encore épargner à l’adolescent la peine capitale et commuer sa sentence en prison à perpétuité. Des dizaines de lettres appelant à la clémence arrivent sur le bureau d’Olin D. Johnston. En vain : elles resteront lettre morte. « Le gouverneur a étudié le dossier et ne trouve aucune raison d’intervenir » rapporte le journal Evening Star le 12 juin. George Stinney devra passer sur la « chaise de la mort » quatre jours plus tard.

Il faudra attendre soixante-dix ans pour que son cas repasse devant la justice. En 2014, sa petite sœur Katherine lui a notamment fourni un alibi, affirmant que George était avec elle lorsque les deux fillettes ont été assassinées. Mais le doute persiste : en tout état de cause, l’adolescent, que la famille des victimes décrit comme « une brute », aurait très bien pu être l’assassin des deux filles. Aucune preuve ne le disculpe. Aucune preuve ne prouve non plus sa culpabilité. C’est justement ce vide qui a poussé au réexamen de l’affaire – l’absence de confession signée, d’indices médico-légaux, d’un compte-rendu du procès, ainsi que des aveux potentiellement arrachés sous la contrainte. « Je ne vois pas de plus grande injustice que la violation des droits constitutionnels d’une personne, ce qui a été prouvé dans cette affaire » conclut la juge en charge du dossier. La procédure de réhabilitation de George Stinney aura duré quatre fois plus longtemps que celle qui, soixante-dix ans plus tôt, le condamnait à la chaise électrique…
Initialement publié sur Slate.fr
Bibliographie
- Eli Faber, The Child in the Electric Chair: The Execution of George Junius Stinney Jr. and the Making of a Tragedy in the American South, University of South Carolina Press, 2021.
- Kristin Henning, The Rage of Innocence. How America Criminalizes Black Youth, Pantheon Books, 2021.
- Karen McVeigh, “George Stinney was executed at 14. Can his family now clear his name?” The Guardian, 22 mars 2014.
- Loulla-Mae Eleftheriou-Smith, “George Stinney Jr: Black 14-year-old boy exonerated 70 years after he was executed,” Independent, 18 décembre 2014.
- Lindsey Bever, “It took 10 minutes to convict 14-year-old George Stinney Jr. It took 70 years after his execution to exonerate him,” The Washington Post, 18 décembre 2014.
- Evening Star (Washington D.C.), 12 juin 1944, page A-6.
