La Brigade Dirlewanger, L’Unité La Plus Sulfureuse des SS

Cette brigade composée d’anciens criminels commit tant d’atrocités qu’elle en était méprisée par sa propre hiérarchie. Voici l’histoire, sertie d’ombre, des rabatteurs noirs du Troisième Reich.

Lorsque Heinrich Himmler, bras droit d’Hitler, ordonne la création d’une brigade composée d’anciens repris de justice au printemps 1940, il ne compte pas en faire une unité d’élite. Ce qu’il recherche avant tout, c’est de la chair à canon – un bataillon levé sur les rebuts criminels et asociaux de l’Allemagne, lâché comme un chien de chasse dans des opérations perdues d’avance. « Le commando avait été engagé partout où la situation requérait des risque-tout particulièrement incisifs, ne craignant pas le danger » rapporte un observateur après-guerre.

Mais qui placer à la tête de cette unité suicidaire ? Himmler opte pour « le plus diabolique des SS », Oskar Dirlewanger, un vétéran de la Grande Guerre à peine cicatrisé, taillé sur mesure pour le costume de l’ange noir. Nazi de la première heure, fou de guerre, alcoolique et revanchard, il s’est également rendu coupable du viol d’une bénévole de la Croix-Rouge âgée de quatorze ans… Inculpé en juillet 1934, il a fait jouer ses complicités dans les réseaux nazis afin d’échapper aux poursuites. En résumé, l’homme idéal pour régner sur un bataillon de criminels…

La chasse est ouverte

A la demande d’Himmler, une cinquantaine de prisonniers sont extraits des camps de concentration au printemps 1940. Tous sont coupables de crimes de braconnage ou de chasse illégale. Pourquoi ce critère de sélection ? Parce que le Führer recherche des traqueurs pour garder les complexes pénitentiaires et déloger les partisans des bois soviétiques. Discrets, méthodiques, patients, les braconniers disposent déjà d’une expérience de terrain : une fois passés sous l’uniforme SS dont on dit qu’il noircit jusqu’à l’âme, les voilà devenus Die schwarzen Jäger – les chasseurs noirs.

PERMIS DE TUER. La carte de transfert de Rudolf Kalmar Jr, un ancien prisonnier du camp de Dachau, au sein de la brigade Dirlewanger. De nombreux autres dissidents purgeant une variété de peines finiront par intégrer cette unité pénitentiaire. (Source: Arolsen Archives via Wikipedia/CC BY-SA 4.0)

Bien entendu, l’intégration de dissidents et de criminels dans l’unité d’élite du Troisième Reich ne passe pas inaperçue. Des voix s’élèvent aussitôt contre la 36e division de grenadiers SS : ses membres ne devraient pas avoir le droit de porter des armes. D’autres plaintes émanent de plus haut, parmi les cadres du parti nazi. Pour autant, grâce au soutien du numéro deux du régime, Dirlewanger maintient sa position. Pire : en juillet 1943, forts de quelques succès dans la traque des partisans, les chasseurs noirs sont rejoints par d’autres détenus de droit commun. Ces derniers sont cambrioleurs, bagarreurs ou meurtriers, soldats déserteurs ou policiers indisciplinés. Certains rapports médicaux précisent même avoir affaire à des « débiles légers » voire carrément à des « psychopathes »

Les premières missions des chasseurs noirs donnent le ton. Au cours de la lutte contre les partisans dans les forêts et les marais de l’Est soviétique (notamment en Biélorussie), de février 1942 à juillet 1944, la division opère une gigantesque chasse à l’homme. Dans ces territoires immenses et vides, la brigade Dirlewanger applique les méthodes de la traque du gibier : battues, feux croisés, incendies de forêts entières, abattage systématique. Les chasseurs posent même avec leurs « trophées », des carcasses d’hommes et de femmes pendues et mutilées.

C’est ainsi que la brigade commence à faire parler d’elle, jusqu’à inquiéter certains membres de la Waffen-SS : sa cruauté semble sans limite. Participant aux liquidations des ghettos de l’Est, les chasseurs mitraillent tout ce qui accroche leur mire. Non seulement les partisans armés, mais aussi des femmes, des enfants, des vieillards : seuls 15% des tués sont issus des forces de résistance ! Prévoyants, les chasseurs noirs préfèrent économiser leurs balles : les habitants sont souvent parqués dans une grange à laquelle on met le feu. Des villages calcinés ont ainsi été découverts sans que l’on n’y retrouve l’ombre d’une douille… Dans le sillage de ces silhouettes carbonisées se répand un proverbe, devenu slogan de l’unité : « Là où il y a un feu, il y a Dirlewanger ».

BATTUE A MORT. Les chasseurs de la brigade Dirlewanger, fusil à la main, mitraillent le cœur de Varsovie en 1944. (Source: Bundesarchiv 183-R97906/ Schremmer via Wikipedia/ CC-BY-SA 3.0)

Ces stratégies, froides et cliniques, ne sont pas sans rappeler la mise à mort mécanique à l’œuvre dans les camps d’extermination. Une autre technique, effroyable de pragmatisme, implique de convertir des civils en détecteurs de mines. « Après que plusieurs accidents eurent été provoqués par des explosions de mines durant l’attaque de Budnicki, raconte un ancien de l’unité, Dirlewanger passa lui-même devant avec sa voiture. Il ordonna que l’on chassât et que l’on rassemblât tous les habitants des villages avoisinants. Ces gens durent marcher en rangs serrés sur ces chemins, et derrière vint une seconde rangée, qui dut marcher exactement dans les espaces laissés vides de telle façon que chaque parcelle du terrain ait été parcourue par ces gens. Les gens marchèrent […] et ces rangées furent totalement déchirées en morceaux. Les gens qui vivaient encore furent exécutés d’une balle dans la nuque. » A Budnicki, en Biélorussie, l’opération de déminage coûte la vie 3.000 civils…

Le système Dirlewanger

Au milieu de cette bande de soldats débraillés et avinés trône Dirlewanger. Alcoolique et autoritaire, il exerce une forte attraction sur ses hommes, lesquels le craignent ou l’adulent. D’autant qu’il dispose de tous les droits sur eux : « il n’y avait pas de tribunal, il y avait un ordre secret qui conférait à Dirlewanger de décider de la vie et de la mort de ses hommes » observe le juge SS Bruno Wille. Dirlewanger fait passer à tabac les hommes qu’il soupçonne de pillages, ou les exécute sommairement en cas de délits plus graves – après qu’ils aient, bien entendu, creusé leur propre tombe. Ici encore, le souci d’économie domine tout calcul… ce qui n’empêche pas Dirlewanger lui-même de tremper dans les vols, détournements de fonds, maltraitances et tortures qu’il prétend punir.

Protégé par les hauts fonctionnaires du régime, l’homme est réputé intouchable. Avec le temps, il s’est attiré les faveurs d’une garde rapprochée, sa propre meute de sous-officiers, celle des braconniers de la première heure qui intègrent l’unité dès 1940. Dirlewanger leur organise régulièrement des « soirées de camarades » (Kameradschaftliche Abend) qui ne sont autre que des beuveries intégrant des viols collectifs…

Et l’unité continue ses battues sanglantes. Après les forêts blanches de Biélorussie, les chasseurs noirs bifurquent vers Varsovie en ruines, où ils participent au tristement célèbre massacre de Wola en août 1944. Méprisés par le reste des SS, craints par les réguliers de la Wehrmacht, les hommes de Dirlewanger auraient reçu d’Himmler « carte blanche pour violer, piller, torturer et massacrer ». Leur courage dopé au schnaps, ils avancent, inconscients du danger, sous le feu ennemi, et meurent aussi souvent des balles des insurgés que des tirs approximatifs de leurs camarades. Lorsqu’ils prennent d’assaut églises, hôpitaux et crèches, le même traitement est réservé aux civils, empreint d’une cruauté bestiale, primitive. Un sapeur belge enrôlé dans la Wehrmacht, Mathias Schenk, raconte comment 500 élèves d’une garderie furent liquidés à coups de crosse et de baïonnette pour économiser les munitions. « Le sang et la matière cérébrale s’écoulaient en rivières le long des escaliers » se souviendra-t-il au cours des reconstitutions d’après-guerre…

APRÈS L’ORAGE. Le 1er novembre 1945, ces habitants rendent hommage aux victimes du massacre de Wola. Cette purge entreprise par les Nazis dans le district éponyme de Varsovie entendait briser la résistance polonaise : elle fait au moins 40.000 victimes civiles. (Source: Wikimedia/Domaine public)

Épilogue

Ce qui arrête la course de l’unité, c’est finalement le spectre, imminent, de la défaite allemande. Pilonnée par l’ogre soviétique, la 36e division de grenadiers SS fait partie des forces armées qui se replient confusément vers Berlin. Les traqueurs sont devenus gibier. A l’occasion des affrontements avec les Soviétiques, de nombreux chasseurs noirs désertent : on ne les reverra plus, disparaissant dans la nature comme les renards blancs de la taïga sibérienne. Le 17 avril 1945, au crépuscule de la guerre, Dirlewanger reçoit sa douzième – et ultime – blessure au front : il est aussitôt rapatrié.

La progression des Alliés est inéluctable. Arrêté puis écroué à Altshausen, en zone d’occupation française en Allemagne, Dirlewanger est battu à mort par ses geôliers polonais. Il meurt, selon toute vraisemblance, le 7 juin 1945, un mois après la capitulation allemande.

Dans l’ensemble, les procès d’après-guerre n’inquièteront pas les chasseurs noirs, malgré les nombreux témoignages de leurs exactions. L’horreur de leurs méthodes a sans doute été éclipsée par les révélations génocidaires de la Solution Finale ; qui plus est, les membres de la brigade Dirlewanger sont nombreux à se soustraire à la justice en invoquant faux témoignages, silences de circonstance et amnésies commodes. Ainsi, déplore le spécialiste Christian Ingrao, « en refusant de collaborer, en s’arc-boutant sur les solidarités du groupe, ils parvinrent à échapper aux poursuites judiciaires. Les crimes commis par l’unité, en Pologne, puis en Union soviétique, à Varsovie, en Slovaquie enfin, restèrent ainsi largement impunis. » La chasse aux coupables est fermée : celle de la mémoire, en revanche, reste ouverte.

Initialement publié sur Slate.fr


Bibliographie

  • Christian Ingrao, Les chasseurs noirs, Perrin, 2006.
  • Chris Bishop, SS: Hell on the Western Front, 2003, MBI Publishing.
  • Timothy Snyder, Bloodlands: Europe Between Hitler and Stalin, 2010, Basic Books.
  • Andreas Mix, “Kriegsverbrechen: Männer mit Vergangenheit,” Der Spiegel, 29 mai 2008.
  • Masha Cerovic, « Christian Ingrao, Les Chasseurs noirs », Cahiers du monde russe, 48/4, 2007, 738-741.
  • The Ukrainian Quarterly, Volumes 21 à 22, Ukrainian Congress Committee of America, 1965.