Les Vrais Amants du Titanic

Oubliez Jack et Rose : les vrais amants du Titanic s’appelaient Isidor et Ida, et ils ont disparu avec le paquebot. Retour sur une histoire d’amour qui a résisté au naufrage le plus tragique de tous les temps.

« Les grandes eaux ne peuvent éteindre l’amour, et les fleuves ne le submergeraient pas. » Ce passage du Cantique des Cantiques est gravé sur le mausolée du couple Straus, au cœur du cimetière Woodlawn de New York. Seul le corps d’Isidor, le mari, a été repêché puis inhumé dans le Bronx. Une urne contenant de l’eau prélevée sur le site du naufrage a été ajoutée en mémoire d’Ida, son épouse, dont la dépouille n’a jamais surnagé. Afin que ce couple inséparable dans la vie le reste dans la mort.

La terre promise

Comme la plupart des histoires d’amour, la rencontre d’Ida et d’Isidor est une curieuse affaire de points communs. D’origine germano-juive, ils sont tous les deux nés le 6 février, à quatre ans d’intervalle. Ils grandissent tous les deux dans le Palatinat, une région allemande frontalière du Luxembourg, où ils coulent des jours tranquilles. Mais ils ne se connaissent pas encore. Tous deux émigrent dans leur jeunesse vers les États-Unis, terre d’opportunités qui promet une vie meilleure à nombre d’Européens. C’est là qu’ils se rencontrent. Et en 1871, dans un pays dont ils ignorent presque tout, Isidor et Ida se marient à New York.

Elle joue le rôle discret de maîtresse de maison tandis que naissent les premiers enfants du couple (Jesse en 1872, Percy en 1876) ; lui, entrepreneur dans la vaisselle, travaille d’arrache-pied au sein de la chaîne de magasins Macy’s pour finalement se hisser au rang de co-propriétaire. Il est également représentant du 15e district au Congrès pour l’État de New York.

Trente ans après leur émigration, Isidor et Ida Straus mènent une vie de château dans la mégalopole galopante ; mais leur statut de nouveaux riches n’entame pas, dit-on, leur complicité. « L’amour que se portaient le mari et l’épouse était celui des vieux couples qui ont traversé ensemble les orages de la vie, se souviendra plus tard Samuel Bessinger, le cousin d’Isidor. Il serait difficile de trouver deux amants plus dévoués l’un envers l’autre. » En effet, lorsqu’ils sont séparés – le plus souvent en raison des voyages d’affaires du mari –, Isidor et Ida s’écrivent quotidiennement.

Ensemble, c’est tout

Au printemps 1912, le couple célèbre ses quarante-et-un ans de mariage dans le Midi de la France. Noces de fer. Ils ont réservé leur billet de retour à bord d’un paquebot transatlantique de la White Star Line, le célèbre Olympic ; toutefois, en raison de réparations de dernière minute, son départ est reporté. Ne souhaitant pas attendre que le bateau soit remis à flot, les Straus prennent place à bord d’un autre navire de la flotte, tout juste sorti des quais de Belfast, et au sujet duquel la presse s’enthousiasme : le Titanic. Les époux Straus sont assignés à la cabine C55, en première classe, et le paquebot lève l’ancre depuis Southampton dans la matinée du 10 avril 1912.

INSUBMERSIBLE. Malgré l’engouement médiatique, certains passagers s’inquiètent de leur sécurité à bord du Titanic. C’est le cas de Silvia Caldwell, une passagère de seconde classe qui voyage avec son mari et son fils âgé d’un an. « Dieu lui-même ne pourrait pas couler ce navire ! » la rassure un marin en riant. (Photo: Francis G. O. Stuart/Domaine public)

Le 14 avril, veille de l’arrivée en Amérique, « l’Insubmersible » longe le 45e parallèle, la proue braquée sur New York. Vitesse de croisière : 22 nœuds, température extérieure : 4°C. Lestés d’un repas copieux – pigeonneau rôti et pêche en gelée –, les époux Straus se retirent dans leur cabine aux alentours de 22h. Mais ils n’ont pas le temps de sombrer dans un sommeil profond. Peu après minuit, ils sont réveillés en sursaut par un garçon d’équipage qui les aide à revêtir leur gilet de sauvetage : le navire aurait éraflé un iceberg…

Tout s’enchaîne très vite. Le premier canot de sauvetage est affalé vers 00h45. Selon la coutume maritime, les femmes et les enfants sont évacués d’abord. L’orchestre continue de jouer des airs rythmés afin de ne pas céder à la panique. Minute après minute, les hommes assistent à la descente de canots à moitié remplis sur le miroir d’eau noire.

Vers 1h30 du matin, l’issue ne fait plus de doute : on a aperçu de l’eau au pied du Grand Escalier… C’est alors qu’on offre à Isidor une place dans le canot de sauvetage n°8. Mais l’homme d’affaires refuse, ne souhaitant pas monter tant que le reste des femmes et des enfants n’a pas été embarqué. Son épouse choisit de rester auprès de lui : « nous mourrons comme nous avons vécu, ensemble » murmure-t-elle. Le couple insiste pour que leur bonne, Ellen Bird, prenne place à bord du canot : Ida lui donne même son manteau de fourrure, ajoutant qu’en n’en aurait plus besoin.

LUTTE DES CLASSES. La disparition des époux Straus reste une singularité statistique, puisque la plupart des passagers de première classe furent sauvés lors du naufrage. Il est intéressant de noter que la structure même du Titanic, réparti sur sept ponts, épouse la forme d’une pyramide sociale. Un « compartimentage » qui condamnera, le soir de la tragédie, de nombreuses familles piégées dans les entrailles du navire…

Un amour insubmersible

Où les époux Straus passent-t-il leurs derniers instants ? Des témoins affirment avoir aperçu Isidor et Ida vers 2h du matin, quelques minutes avant que la coque du Titanic ne se brise en deux. Main dans la main, ils arpentaient le pont principal avant d’être engloutis par une vague.

Ils sont nés le 6 février à quatre ans d’intervalle. Ils meurent le 15 avril 1912 dans la même seconde.

Relayée par Ellen Bird dès l’arrivée des survivants à New York, l’histoire de cet amour insubmersible s’imprime bientôt à la une des journaux. C’est un antidote au traumatisme qui frappe la planète, amputée brusquement de plus de 1.500 vies. Sorti en 1997, l’ovni cinématographique de James Cameron leur rend hommage en immortalisant Isidor et Ida sous les traits d’un vieux couple se réconfortant dans une cabine cernée d’eau. « Rien sur terre ne pouvait les séparer » affirmait l’affiche du film ; la réalité dépasse parfois la fiction. Sur mer aussi, les époux Straus demeurèrent inséparables.

Initialement publié sur Slate.fr


Bibliographie

COVER PICTURE: LOVE UNDERWATER (c) MOntage by The storyteller’s Hat via wikimedia commons.