1700 : La Grande Panique des Vampires

Né comme un murmure dans les légendes scandinaves ou les montagnes slaves, le vampire a connu plusieurs « résurrections » au cours de l’Histoire. Craint au Moyen Âge, scellé définitivement dans son caveau par peur qu’il ne revienne hanter les vivants, il fait l’objet d’une véritable hystérie au XVIIIe siècle. Dégainez les gousses d’ail et les crucifix : ces créatures assoiffées de sang ont eu davantage d’impact sur l’Histoire que vous ne l’imaginez.

Conseil à l’intention des chasseurs de vampires : pour les traquer, mieux vaut commencer par les cimetières. Dès l’Antiquité et tout au long du Moyen Âge, on observe sur le continent européen de nombreuses pratiques visant à sceller les morts dans leurs tombes : nouer les orteils des défunts, leur caler une grosse pierre entre les mâchoires, suspendre une faux au-dessus de leur gorge… Preuve que la crainte des morts-vivants y a déjà sa place. Prudence est mère de sûreté.

Premiers signalements

Les vampires de la fin du Moyen Âge n’ont pas la réputation de spectres ténébreux. On leur attribue en revanche un appétit post-mortem dévorant. Les victimes de la peste bubonique, par exemple, sont réputés capables de dévorer leur linceul, la garniture de leur cercueil, voire leurs contemporains bien vivants, après leur mort… Raison pour laquelle on leur cale, comme dans ce sanatorium de Venise du XVe siècle, une pierre entre les dents ! Il n’y a pas plus commode pour couper l’appétit…

IL Y A UN OS. Ce squelette exhumé en Bulgarie, datant du XIIIe siècle, a été retrouvé avec un pieu en métal à travers la cage thoracique… (Credit: Bin im Garten/CC BY-SA 3.0 via Wikipedia)

Mieux : en 1656, dans un petit village croate, le premier vampire « historique » défraie la chronique. On raconte que durant les seize années suivant sa mort, un certain Jure Grando Alilović revient à la vie chaque nuit pour terroriser les villageois… Jusqu’à ce que les habitants épouvantés ouvrent son cercueil – découvrant, selon la légende, un corps parfaitement préservé avec un grand sourire sur le visage – et ne le décapitent. Le terrain est prêt pour la grande panique du XVIIIe siècle.

Chasseurs de vampires

Difficile de croire à ces récits, surtout à l’âge des Lumières et de la raison triomphante. Pourtant le XVIIIe siècle connaît une explosion du nombre de cas de « vampirisme », en particulier en Europe centrale et orientale. Des cas isolés ? Certainement pas : à partir de 1721, les signalements de vampires en Serbie explosent, à tel point que le Conseil de Guerre de Belgrade doit dépêcher un chirurgien-major sur les lieux pour enquêter. Johann Flückinger est formel : les habitants du village de Medvegia ont déterré, décapité et brûlé près de quarante cadavres !

DENTS LONGUES. Gilles de Rais et Vlad l’Empaleur, monstres de cruauté du XVe siècle, ont également été accusés de vampirisme pour leur soif de sang. Sans surprise, le second a inspiré à Bram Stoker le personnage de Dracula.

D’autres agressions attribuées aux « revenants en corps » ont lieu dans les contrées rurales de Silésie, de Bohême, de Pologne, de Grèce et de Russie. On découvre des cadavres boursouflés, gorgés de sang, comme repus. Les autorités sont sommées d’intervenir, dérangeant nombre de défunts dans leur sommeil, et les y épinglant d’un coup de pieu dans le cœur…

Les érudits sur les dents

Dans les grandes capitales européennes, curieux et érudits s’emparent du sujet. L’abbé Augustin Calmet publie un Traité sur les apparitions des esprits et sur les vampires en 1751 : « on voit, dit-on, des hommes morts depuis plusieurs mois, revenir, marcher, parler, infecter les villages, maltraiter les hommes et les animaux, sucer le sang de leurs proches ». Il raconte les événements survenus dans ces territoires désolés, notamment la réapparition monstrueuse d’un défunt : « ce cadavre hurlait comme un furieux, et remuait les pieds et les mains comme vivant ; et lorsqu’on le perça de nouveau avec des pieux, il jeta de très grands cris, et rendit du sang très vermeil, et en grande quantité ».

Les superstitions vont bon train. Certains expliquent le phénomène par les mœurs décadentes des Russes et des populations rurales. D’autres incriminent les astres. D’autres, comme Michael Ranft de l’université de Leipzig, prêtent à l’imagination les vagues de vampirisme. On dénonce aussi le trop-plein des cimetières intra-muros, où l’on a plus de place pour enterrer quiconque. Le cimetière des Innocents, à Paris, est si surchargé que des ossements traversent les caves voisines, à la plus grande surprise des habitants. Par ailleurs, certains cadavres enterrés près de la surface sont dégagés par les pluies ou les chiens errants, laissant croire à des tentatives d’évasion…

Voltaire fustige les écrits de l’abbé Calmet, également moqué dans L’Encyclopédie à l’article Vampires : « Calmet a fait sur ce sujet un ouvrage absurde dont on ne l’aurait pas cru capable, mais qui sert à prouver combien l’esprit humain est porté à la superstition ». En 1755, l’impératrice Marie-Thérèse d’Autriche tranche et conclut que ces croyances ne sont que « superstition et fraude ». Une loi interdit l’exhumation de vampires présumés. Les Lumières reprennent le flambeau, mais le vampire n’est pas enterré pour toujours…

Revenants d’outre-Atlantique

En effet, le phénomène renaît de manière fracassante en Nouvelle-Angleterre au début du XIXe siècle. Une étrange pathologie sembler consumer les malades vivants et drainer leur énergie vitale : on parle de « consommation » en voyant leurs visages s’amaigrir et leurs constitutions s’étioler. La panique cédant place à la psychose, les rumeurs enflent : les vampires sont de retour ! On croit que les morts ayant succombé à la pathologie se repaissent de l’énergie des vivants, par une drôle de connexion spirituelle, et que le premier décès appelle celui de toute sa famille…

LIT DE MORT. Le peintre vénézuélien Cristóbal Rojas est lui-même atteint de « consommation » lorsqu’il peint La Miseria en 1886. (Credit: Wikipedia/Domaine public)

Très rapidement, l’exhumation de corps reprend le dessus : des corps sont brûlés, parfois seulement leurs organes. On enterre des cadavres la tête en bas, ou sur le ventre, afin qu’ils ne trouvent pas la sortie de leur caveau. Les cas se multiplient à travers les États-Unis, documentés dans les journaux d’époque, comme ce médecin de Louisiane que l’on consulte pour « exorciser » un vampire en 1884. Deux ans plus tôt, le docteur Robert Koch a pourtant isolé le bacille responsable de cette épidémie : il s’agit ni plus ni moins de la tuberculose…

Les vampires démasqués

Comment expliquer ces épidémies de vampirisme dans un Occident « éclairé » ? Déjà, par une mauvaise connaissance du processus de décomposition des corps. Il n’est pas rare de voir des liquides baigner le nez et la bouche des cadavres, issus de la décomposition des organes. C’est souvent la présence de sang qui inquiète les déterreurs de cadavres, et les pousse à conclure à la présence de vampires. Par ailleurs, l’asséchement des chairs donne l’illusion que les ongles et les cheveux continuent de pousser, comme si la vie animait toujours les dépouilles…

CHOLÉRIQUE. Les victimes du choléra ont tendance à être enterrées un peu (trop) vite… Comme sur ce tableau d’Antoine Wiertz, L’inhumation précipitée (1854).

La religion joue également un rôle : au XVIIIe siècle, les signalements de vampires traversent les campagnes d’Europe de l’Est, où l’Église orthodoxe domine le paysage, beaucoup plus perméable aux superstitions que l’Église catholique. On a vu le traitement que cette dernière réserve aux sorcières et aux instruments du Malin : l’aveu par la torture, le bûcher et l’enfouissement vivant ! Même les épidémies plus récentes déciment plutôt les campagnes illettrées, imprégnées de superstitions païennes et de remèdes « magiques ».

Mais les épidémies violentes constituent le terreau le plus fertile des psychoses de vampires. La peste en Italie au XVe siècle, laissant croire à l’émergence de « corps masticants » ; le choléra, dont la panique engendre nombre d’enterrements prématurés, puis la tuberculose au XIXe siècle… Autant de phénomènes incompris et dévastateurs qui ont poussé les vivants à prendre des mesures radicales. Encore en 1970, une rumeur londonienne fait état d’un vampire errant dans le cimetière de Highgate. Preuve que les revenants, à défaut de hanter nos caveaux, hantent encore nos consciences.


Bibliographie

Cover picture (C) Medieval Witch Trial via Milwaukee Independent