Les zombies ont infesté notre XXIème siècle. Le cinéma, les séries télé leur offrent des kilomètres de pellicule vierge pour qu’ils y traînent leurs membres sanguinolents en poussant des râles interminables. Un personnage aussi cauchemardesque doit être né d’une époque particulièrement obscure de notre histoire… Escale dans l’obscurité des mystères vaudou.
Si le terme « zombie » est entré assez tard dans notre vocabulaire, les morts-vivants ont pris vie dans les croyances de l’humanité depuis son plus jeune âge. Dès l’Antiquité, les Grecs enterraient leurs morts avec des tablettes gravées d’incantations nébuleuses, suppliant leurs dieux de les ramener à la vie. La mythologie hellène, qui conte des voyages de vivants dans le royaume des Morts, instaure d’ailleurs une frontière très ténue entre la vie et l’au-delà… Les défunts seraient-ils donc capables d’être ressuscités, comme le soutiennent nombre de religions ?

Instructions anti-résurrection
Si la croyance est particulièrement répandue, elle n’est pas souhaitée – en tout cas, c’est ce que laissent à penser des fouilles archéologiques réalisées dans nombre de cimetières antiques. Il a été observé que les Grecs couchaient parfois les défunts sous un monceau de poteries ou de pierres lourdes afin de les empêcher de se réveiller de ce lent sommeil… La plupart du temps, les inhumations ne visent donc pas à réanimer les cadavres, mais à les empêcher de revenir hanter les vivants. Et les pratiques perdureront à l’époque médiévale.
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D’autres excavations ont révélé des rituels funéraires similaires en Angleterre, en Irlande, ou encore en Turquie, avec quelques « originalités » notables : ici, on lie les gros orteils des cadavres, là, on cale de gros blocs de pierre entre leurs mâchoires… Tous les moyens sont bons pour empêcher la résurrection des défunts. Même après le Moyen-Âge, la Grande Panique des Vampires, qui infecte l’Europe de l’Est au XVIème siècle, motive encore davantage les vivants à sceller leurs morts dans leurs tombeaux. Un cimetière polonais dévoile notamment des cercueils garnis de faucilles acérées suspendues au-dessus de la gorge des cadavres… Ainsi, un réveil en sursaut leur réserverait bien des surprises.

Comme quoi, la fâcheuse tendance des morts à revenir de l’au-delà semble bien préoccuper les populations depuis plusieurs millénaires. Des légendes égyptiennes aux croyances scandinaves, en passant par les grandes religions du Livre, la résurrection fait presque partie du cahier des charges des mythologies fondatrices de civilisations… Dans ce large éventail de morts-vivants, le zombie moderne ne va pas tarder à se dévoiler à la face du monde, depuis les baraquements branlants des esclaves antillais.
Le mystère reste antillais
Nous sommes à Haïti, une île des Grandes Antilles d’à peine vingt-huit mille kilomètres carrés. A l’époque, elle s’appelle encore Saint-Domingue : c’est une colonie française prospère depuis le XVIIème siècle, plateforme du commerce triangulaire et de la production de canne à sucre. Les plantations sont alimentées par des centaines de milliers d’esclaves en provenance d’Afrique, qui y cultivent une religion inconnue aux Amériques : le vaudou.

De nos jours, cette croyance mystérieuse est associée à de sombres rituels et à des invocations démoniaques. Mais le vaudouisme n’est pas seulement une religion : c’est une véritable vision du monde que les esclaves ont apporté jusqu’aux Antilles. Une harmonie indivisible qui unit les fidèles avec leurs dieux, la nature, et le monde qui les entoure. Bien mal comprise par les colons européens, qui manient la croix chrétienne comme une épée évangéliste, le vaudou est interdit. Mais il est toujours pratiqué, en secret, par les Africains déracinés ; pour eux, c’est la seule porte de sortie d’un quotidien qui les tue à petit feu. Selon ce culte, le Baron Samedi, un des dieux principaux du panthéon vaudou, s’impose à chaque défunt pour mener son âme vers une nouvelle vie sur le continent africain. Par contre, les « pêcheurs » et autres coupables de mauvaises actions sont refusés dans l’au-delà : leurs âmes sont condamnées à errer éternellement sur les plantations qui les ont vus mourir. Incapables de s’élever rejoindre leurs ancêtres, ils sont désormais sujets à une malédiction…
Car une entité bien vivante du culte vaudou est le sorcier, ou bokor, capable de réanimer ces corps privés de vie puis d’en tirer les ficelles comme d’une véritable marionnette ni vraiment morte, ni vraiment vivante. Dans le créole haïtien, les hôtes victimes de cette résurrection cauchemardesque sont appelés « zonbis ». C’est le début d’une mythologie qui va durer pendant des siècles…
Le culte vaudou permet aux esclaves d’attendre la mort avec un frisson d’impatience. Quant aux exploitants des plantations, ils se réjouissent de voir leur main d’œuvre poursuivre son dur labeur sans maugréer. Ils n’auront pas à attendre longtemps avant que le vent tourne… Soufflé par la Révolution Française et la vague de liberté qui déferle à travers l’Europe, l’esclavage est aboli dans tous les territoires français en 1794. Les travailleurs des plantations se soulèvent contre l’occupant colon, sous la baguette de l’ex-esclave Toussaint Louverture.

En 1804, l’indépendance d’Haïti est proclamée : la déclaration qui l’accompagne en appelle aux esclaves, fraîchement libérés : « Marchons sur d’autres traces, imitons ces peuples qui, portant leurs sollicitudes jusque sur l’avenir et appréhendant de laisser à la postérité l’exemple de la lâcheté, ont préféré être exterminés que rayés du nombre des peuples libres. »
Incursion dans la pop culture
Le vaudou n’a pas perdu de sa superbe au cours de ces années de lutte. Il est désormais mêlé d’icônes chrétiennes et s’exporte dans les territoires avoisinants. Drôle d’ironie : cet héritage meurtri, qui a permis aux esclaves de garder espoir en des temps de misère, colonise désormais les territoires voisins, notamment les États-Unis. Il y prospère, et inspirera plus tard les premières œuvres de fiction mettant en scène les zombies, sous la forme de corps décharnés dépourvus d’âme.
A Haïti, la crainte que les bokors continuent de sévir pour tourmenter les défunts ensommeillés est toujours d’actualité. Certains postulent qu’une concoction habile de poisons venimeux pourrait donner l’apparence d’une mort clinique, conduisant à l’inhumation d’un défunt ramené à la vie la nuit suivante par un sorcier. Le code pénal haïtien range d’ailleurs la « zombification » dans ses textes de loi : l’article 246 stipule « Est aussi qualifié attentat à la vie d’une personne, par empoisonnement, l’emploi qui sera fait contre elle de substances qui sans donner la mort, auront produit un état léthargique plus ou moins prolongé […]. Si, par suite de cet état léthargique, la personne a été inhumée, l’attentat sera qualifié assassinat. » C’est dire à quel point les zombies sont bel et bien vivants – tout au moins dans les croyances des peuples depuis nos origines lointaines. Et le triomphe que leur réserve la pop culture souligne qu’ils ne seront pas mis en terre de sitôt… De toute manière, ils connaissent le chemin vers la sortie.
Bibliographie
- Mattew Blitz, « How Haitian Slave Culture Gave Life To Zombies », Atlas Obscura, 10/27/2015.
- Amy Wilentz, « A Zombie Is A Slave Forever », New York Times, 10/30/2012.
- Laura Geggel, « Zombie Burials? Ancient Greeks Used Rocks to Keep Bodies in Graves », Live Science, 6/24/2015.
- Tia Ghose, « Mystery of ‘Vampire’ Burials Solved », Live Science, 11/26/2014.
- Heather Pringle, « Archeologists Suspect Vampire Burial; An Undead Primer », National Geographic, 6/15/2013.