Les Morts Les Plus Ridicules de l’Histoire

Qu’ils soient rois, penseurs ou artistes, certains grands de l’Histoire ont attendu leur dernière heure pour se couvrir de ridicule. Rendons-leur justice avec cette sélection (mortelle) des trépas les plus insolites.

Comme l’écrivait Pagnol, « la première qualité d’un héros, c’est d’être mort et enterré ». Cette maxime s’est maintes fois confirmée au fil de l’Histoire. Combien d’obscurs individus sont passés à la postérité bien des lustres après leur décès ? On se souvient de Galilée ou de Socrate, décriés de leur vivant mais encensés post-mortem ; on compatit pour Van Gogh, Jane Austen ou Emily Dickinson, artistes aujourd’hui incontournables qui vécurent dans l’indifférence. Mais la mort peut être plus cruelle encore – lorsqu’elle est suffisamment idiote pour éclipser une existence glorieuse. La preuve avec cette galerie tragicomique.

Le tort tue

C’est sans doute plein de sérénité que le dramaturge grec Eschyle se promène, en 456 avant notre ère, le long des plages silencieuses de Gela, en Sicile. Plusieurs fois lauréat du concours tragique, cet auteur prolifique est promis à une gloire éternelle. Prudence : un oracle lui a prédit qu’une maison chuterait dans les environs, raison pour laquelle Eschyle vadrouille « avec sécurité sous la voûte des cieux » (Pline l’Ancien).

Mais une ombre plane tout de même au-dessus de sa tête : celle d’un rapace endémique de l’île, le gypaète barbu, qui tient dans ses serres – chose curieuse – une tortue. L’aigle possède une technique imparable afin de se délecter de la chair de l’animal : il lâche sa proie depuis le ciel afin de briser sa carapace sur les rochers. Manque de bol, le rapace prend le crâne chauve d’Eschyle pour une pierre particulièrement propice à cet usage, et le dramaturge meurt sur le coup. C’est finalement la chute d’une petite maison – celle que la tortue porte sur son dos – qui aurait valu à Eschyle sa plus grande tragédie…

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Le gypaète barbu, principal suspect. (Photo: Richard Bartz via Wikipedia, CC BY-SA 2.5)

Plus poli, tu meurs !

Tycho Brahé a toujours vécu en bonne compagnie. Cet astronome danois fréquente, depuis son plus jeune âge, la crème de l’aristocratie du royaume ; ses travaux, acclamés, influenceront notamment Kepler, qui l’assiste sur ses vieux jours. Invité à un banquet particulièrement mondain en 1601, Tycho retient une envie pressante. (Selon d’autres versions, c’est dans le propre carrosse de l’empereur Rodolphe II de Habsbourg que la scène se produit.) Toujours est-il que la politesse de l’astronome lui vaut, quelques heures plus tard, une explosion de la vessie !

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La langue tchèque utilise couramment l’expression « je ne veux pas mourir comme Tycho Brahé », allusion à sa fin douloureuse.

Cette mort particulièrement cocasse a fait l’objet de nombreux débats entre scientifiques et historiens. En effet, certains postulent que Tycho aurait succombé à un empoisonnement du sang, la faute à une prothèse nasale en argent qu’il portait depuis ses vingt ans (il avait perdu en 1566 une partie de son nez au cours d’un duel mémorable). La querelle s’envenima au point de pousser à l’exhumation du corps : résultat, la concentration de métal dans son organisme n’était pas suffisante à le tuer. Faute de preuves, on s’en tiendra donc à la version romantique de la bienséance urinaire.

Canne à sons

Compositeur resplendissant du Grand Siècle, Jean-Baptiste Lully joue aux côtés de Louis XIV une partition savamment orchestrée. Avec Molière, Racine ou Le Brun, c’est l’un des artistes les plus en vue du XVIIe siècle et l’un des meilleurs ambassadeurs du Roi-Soleil. C’est d’ailleurs en l’honneur du roi qu’il fait jouer un solennel Te Deum au début de l’année 1687, à l’église parisienne des Feuillants. Pointilleux, Lully bat la mesure avec une lourde canne surmontée d’un pommeau ferré, qui lui sert à marquer le tempo en frappant le sol. Les musiciens sont-ils, ce jour-là, moins précis qu’à l’ordinaire ? Toujours est-il que le compositeur, troublé, se fracture un orteil avec sa « canne de direction ». La blessure s’infecte peu après, mais Lully, attaché à ses jambes de danseur, refuse l’amputation. La gangrène s’installe et le compositeur succombe le 22 mars.

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Différentes « cannes de direction » à travers les époques. (Photo © Marie Prunier via Opera Online)

La traversée du dessert

« Il ne déploya qu’un règne timide et irrésolu » déplore un de ses biographes… Très certainement, on ne se souviendra pas d’Adolphe-Frédéric de Holstein-Eutin, roi de Suède, pour ses succès diplomatiques. La seule caractéristique qui lui permit de sortir de l’indifférence générale, c’est son appétit gargantuesque. Car le monarque avale de tout, et en quantité. Le 12 février 1771, la soixantaine bien épaisse, Adolphe-Frédéric se met à table en son palais de Stockholm. Au menu : homard, caviar, choucroute, hareng, soupe au chou, le tout arrosé – imbibé serait plus exact – de champagne… Quand arrive le plateau de semlas, des pâtisseries fourrées à la crème immergées dans du lait chaud, le monarque jubile : c’est son péché mignon. Insatiable, Adolphe-Frédéric se ressert. Quatorze fois. Victime d’une indigestion spectaculaire, il s’éteint avant la nuit.

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Poils à frire

Sur la frontière entre l’Autriche et l’Allemagne, la ville de Braunau am Inn a fait une entrée remarquée dans l’Histoire. Non seulement parce qu’elle voit naître Adolf Hitler en 1889, mais aussi en raison de son maire du XVIe siècle particulièrement barbu. Hans Steininger, « bourgmestre » de la cité, promène à l’automne 1567 deux mètres de poils au bout de son menton. Par commodité, il a pour habitude de ranger cette pilosité encombrante dans une sacoche en cuir. Mais le 15 septembre, un incendie ravage la cité ; dans la confusion générale, la barbe de Hans glisse hors de son étui… et son propriétaire trébuche en marchant dessus. Une gamelle plus loin, le bourgmestre est étendu en bas des escaliers, le cou brisé.

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La barbe authentique de Hans Steininger exposée au Musée de Braunau am Inn. Une expo au poil. (Photo: M.M via Wikipedia, CC BY-SA 3.0)

Les rois prennent la porte

Louis III était pourtant bien parti. En 879, âgé d’une quinzaine d’années, le roi des Francs remporte une victoire décisive sur les Vikings. Trois ans plus tard, il récidive à Saucourt-en-Vimeu (Somme) au terme d’une bataille qui, dit-on, coûte la vie à plus de huit mille Normands. Jusqu’où le jeune souverain ira-t-il donc ? Pas bien loin : quelques semaines plus tard, poursuivant « par jeu » (et à cheval) la fille d’un dénommé Germond, Louis se fracasse le crâne contre le linteau d’une porte. La gueuse, terrifiée, s’enfuyait vers la demeure de son père…

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Gisants des deux frères carolingiens Carloman II – mort à 17 ans d’un accident de chasse – et Louis III à la Basilique de Saint-Denis. (Photo: Chabe01 via Wikimedia Commons, CC BY-SA 4.0)

Étrangement, Louis III ne sera pas le seul roi à connaître ce sort insolite. Le 7 avril 1498, au château d’Amboise, Charles VIII se rend à une partie de jeu de paume. Cependant il oublie de baisser la tête en franchissant une porte basse, et se cogne violemment. Minimisant l’incident, le roi s’installe en plaisantant dans la galerie… et finit pas succomber d’une hémorragie cérébrale. Comme quoi, même les plus grands ont leurs moments de fatigue !


Bibliographie

  • David Alliot, Philippe Charlier, Olivier Chaumelle, Frédéric Chef, Bruno Fuligni, Bruno Léandri, La tortue d’Eschyle et autres morts stupides de l’Histoire (2012), Les Arènes, Paris.
  • Henri Pigaillem, Petit dico insolite de la Mort (2007), City.
  • Pline l’Ancien, Histoire Naturelle, Livre X, 3.
  • Ivan Gobry, Histoire des Rois de France : Louis III, Carloman, Charles le Gros (2012), Pygmalion.
  • Charles A. Coquerel, Résumé de l’Histoire de Suède (1826), 3e édition, Bruxelles : Wahlen, 1826.
  • Megan Gannon, « Tycho Brahe Died From Pee, Not Poison », Live Science, 16 novembre 2012.
  • Eric Grundhauser, « Visit a Beard That Killed Its Owner », Atlas Obscura, 26 janvier 2018.
Cover picture: (C) TRAVIS MILLARD via hollywood reporter