Nostradamus : Des Astres et Des Désastres

L’Histoire est parfois traversée de personnages ténébreux qui lui lèguent davantage de mystères que de certitudes. C’est le cas de Nostradamus, un astrologue qui stupéfia le peuple du XVIème siècle en réalisant de nébuleuses prédictions… Qui éclaboussèrent également la famille royale.

Qu’on y croie ou non, le surnaturel, l’occulte et le magique ont leur place dans l’Histoire, pour la simple et bonne raison que les croyances des hommes ont influencé leurs actions et donc façonné leurs époques. On se souvient des mages perses qui lisaient l’avenir dans les étoiles, des princes grecs consultant les oracles à Delphes. Mais aussi, plus tardivement, des propriétés miraculeuses des rois-guérisseurs ou des origines occultes du barbarisme aryen.

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Ce tableau de Delacroix (1835-45) représente le législateur spartiate Lycurgue consultant la Pythie, célèbre prêtresse du Temple d’Apollon à Delphes. (Credit: Wikipedia/Domaine public)

Certains siècles, imprégnés de religion, de mysticisme ou de misère, sont plus perméables que d’autres à l’attrait du surnaturel. Le XVIème ne fait pas exception.

Des confitures contre la peste

Depuis les années 1530, un certain Michel de Nostredame écume les routes du Midi, où il exerce la profession de médecin itinérant. Chassé de l’Université d’Avignon par la peste, il ne reçoit jamais son diplôme, mais passe son temps à concocter onguents et breuvages miraculeux. Confronté de nouveau à l’épidémie vers Aix en 1546 (où il s’apitoie du fait que « les cymetières estoient si pleins de corps morts »), il prescrit un remède à base de clous de girofle, de sciure et de roses broyées.

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Dans son premier traité, Nostradamus partage son remède contre la peste… Mais aussi des lotions pour blanchir les dents ou les secrets de conservation des poires au sirop. C’est ce que l’on appelle avoir plus d’un tour dans son sac.

C’est une drôle de médecine que pratique Michel de Nostredame : un savoir d’apothicaire, mêlé de sciences plus obscures et notamment de kabbalistique juive (sa famille s’est convertie assez récemment au christianisme). En 1555, il publie son premier traité, dans lequel il partage ses recettes de « fardements […] pour illustrer et embellir la face » (que nous nommons aujourd’hui maquillage) mais également de… confitures !

Le devin des rois

Cela n’empêche pas Michel de Nostredame de planter régulièrement ses yeux au ciel. Son expérience dans le Midi balayé par la peste et les guerres de Charles Quint lui inspirent des visions d’apocalypse. Il cherche à lire l’avenir dans les astres ; c’est ainsi qu’il réalise ses premiers « présages » qui feront toute sa popularité. Michel publie un premier almanach listant ses prédictions en 1550, valables jusqu’à l’an 3797. Il y utilise des formules brouillées et nébuleuses, avec un vocabulaire déjà dépassé et mêlé de latin et de provençal. L’ouvrage prendra le nom de Prophéties et sera édité à Lyon en 1555, avant de rencontrer un vif succès populaire.

Nostradamus portrait Canva

La même année, sur invitation de Catherine de Médicis, l’énigmatique astrologue rencontre le couple royal à Paris. La Cour de France est intriguée par ce Provençal qui a récemment latinisé son nom en « Nostradamus » et manifesté dans ses écrits plusieurs mises en garde à l’égard du roi Henri II. Il faut dire que la science des étoiles n’est pas boudée par les personnalités de premier plan. A la même époque, l’empereur Rodolphe II rassemble à Prague une cour hétéroclite composée d’astrologues et d’alchimistes, tandis qu’outre-Manche, la reine Elisabeth I reçoit le conseil d’un spécialiste de l’occulte nommé John Dee. Catherine de Médicis elle-même porte des amulettes astrologiques en guise de talismans. Elle ne tarira pas d’éloges envers Nostradamus ; et un événement tragique de 1559 la confortera sur ses positions, renforçant l’aura du prophète.

Un quatrain prémonitoire ?

En juin 1559, au terme d’un tournoi de chevalerie qui se tient rue Saint-Antoine, le roi Henri II manifeste l’envie d’une dernière joute. Sa femme le retient, arguant qu’il a déjà bien assez combattu pour aujourd’hui ; mais le monarque a le dernier mot et décide d’affronter le jeune comte de Montgomery, capitaine de sa garde écossaise. Erreur fatale : les lances se brisent et le roi reçoit un éclat de bois dans l’œil. Malgré tous les soins de la profession médicale, qui s’empresse de reproduire cette vilaine blessure sur des condamnés à mort afin de comprendre comment la soigner, le roi s’éteint dix jours plus tard.

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La joute fatale à Henri II illustrée sur un manuscrit allemand du 16ème siècle. (Credit: Wikipedia/Domaine public)

On fera alors le rapprochement avec l’une des prédictions de Nostradamus (Centurie 1, Quatrain 35), publiée quatre ans plus tôt :

« Le lyon jeune le vieux surmontera,
En champ bellique par singulier duelle,
Dans cage d’or les yeux lui crevera :
Deux classes une, puis mourir, mort cruelle. »

Plusieurs éléments troublants sont contenus dans cette prophétie. L’affrontement entre le royal quadragénaire et le comte de 29 ans, dont on dit qu’ils portaient des lions comme insignes ; la localisation exacte de la blessure (certains prétendent que le heaume d’Henri II était serti d’or, présageant la « cage d’or ») ; puis la mort, indiscutablement cruelle au terme d’une lente agonie, du monarque.

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Gisants d’Henri II et de Catherine de Médicis à la Basilique de Saint-Denis. (Photo: Germain Pilon via Wikipedia/CC BY-SA 3.0)

Faut-il y voir autre chose qu’une sacrée coïncidence ? Nostradamus a publié pas loin de mille quatrains de ce style, il n’est donc pas étonnant que certains tombent juste. Tirez mille flèches les yeux fermés, une atteindra sans aucun doute sa cible ! L’astrologue lui-même n’a pas établi le lien entre sa prédiction et l’événement qui fait pourtant grand bruit. Certains détails du tournoi – les emblèmes de lions, le heaume d’or – ont peut-être été ajoutés a posteriori pour coller aux termes exacts de la prophétie.

La guerre des étoiles

La fin de vie de Nostradamus est marquée par la maladie – l’homme est de constitution fragile – mais surtout la colère de nombreux commentateurs l’accusant de charlatanisme dans des pamphlets incendiaires. L’astrologue s’en soucie peu : investi de la confiance de Catherine, il a été placé sous protection royale. Michel meurt en 1566. Selon la légende, son corps est retrouvé « tout mort prés du lict & du banc »… ainsi qu’il l’avait anticipé dans l’un de ses derniers présages.

Après sa mort, les prophéties de Nostradamus sont rééditées en grand nombre et laissées en pâture au peuple. Souvent imité mais jamais égalé en popularité, l’astrologue hante encore les consciences. Si les Lumières du XVIIIème dissipent l’intérêt pour l’astrologie au profit de sciences plus « sûres », on continue encore aujourd’hui de se pencher sur ses quatrains prophétiques pour en percer les mystères.

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Parmi les nombreux événements que l’astrologue aurait « prophétisé », la destruction de Londres par un gigantesque incendie, en septembre 1666. (Credit: Wikipedia/Domaine public)

Certains croient qu’il avait anticipé l’élection de Mitterrand en 1981 (« quand fleurira la rose ») ou la fuite de Louis XVI à Varennes (« le moyne noir en gris dedans Varennes »). D’autres empruntèrent sa plume pour composer des quatrains bien après sa mort, prétendant qu’il avait prévu le massacre de la Saint-Barthélémy (« Encor un coup la sainct Barthelemy / Engravera au profond de son ame ») et même le 11 septembre (« la troisième grande guerre commencera quand la grande cité brûlera »). Nostradamus avait-il lu dans les étoiles les nombreux canulars que son art annonçait ?


Références

  • Hervé Drévillon, Pierre Lagrange, Nostradamus, l’éternel retour (2003), Gallimard.
  • Pierre Assouline, « Faut-il croire à Nostradamus ? » L’Histoire n°66, avril 1984.
  • Eugène F. Parker, “La légende de Nostradamus et sa vie réelle”, Revue Du Seizième Siècle, vol. 10, 1923, pp. 93–106 et pp. 148-158. JSTOR (partie 1, partie 2).
  • Jean Maguelonne, Nostradamus (2007), Editions de Vecchi.
  • Robert A. Nye, The Journal of Modern History, vol. 86, no. 4, 2014, pp. 866–868. JSTOR.
  • Michel Simonin, “Michel de Nostredame, Pierre Boaistuau, Chavigny et la peste aixoise de 1546”, Bibliothèque D’Humanisme Et Renaissance, vol. 45, no. 1, 1983, pp. 127–130. JSTOR.