La Colline des Croix / Jurgaičiai, Lituanie

Amis vampires qui lisent cet article, prenez garde ! S’il y a un endroit sur Terre que vous feriez bien d’éviter, c’est celui-ci. Non, ce n’est ni l’un des points les plus ensoleillés du globe, ni l’un des bastions de la culture d’ail ; en revanche, au sommet de la Colline des Croix, en Lituanie, vous trouveriez près de 100 000 causes de mort prématurée.

Les locaux l’appellent Kryžių kalnas. Situé à douze kilomètres au nord de Šiauliai, la quatrième ville la plus importante du pays, l’endroit est un lieu de pèlerinage renommé. Au fil des années, pèlerins, visiteurs et curieux s’y sont pressés, laissant derrière eux un témoignage de leur foi ou de leur respect pour la culture lituanienne : un crucifix, une relique, une statue de la Vierge, un portrait de saint, ou tout autre objet qui a trouvé à la Colline des Croix sa nouvelle maison.

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Des visiteurs du monde entier viennent laisser leur marque au sommet de la colline lituanienne… Certains fabriquent même la leur de branches glanées sur place ! (Credit: yeowatzup via Wikimedia)

Mais au-delà de son statut de lieu de pèlerinage, homologue de tant d’autres à travers l’Europe, celui-ci reflète également l’histoire de tout un pays. La Colline a été, dans les temps les plus durs, un havre d’espoir et de paix dans un contexte permanent d’insécurité. Remontons un peu le temps pour comprendre ce qui la rend si spéciale auprès des Lituaniens.

Le pays d’Europe de l’Est a, en effet, souvent été la victime des forces impérialistes qui dominaient son époque. Coincé entre l’Empire Russe et le Royaume de Prusse, il a vu son territoire grignoté des deux côtés par les ambitions dévorantes de ses voisins. Prise en sandwich, la Lituanie a subi la domination russe dès le 18ème siècle (incluant la censure et l’impérialisme culturel, entre autres subtilités) et les révoltes qui ont enflammé son cœur indépendantiste furent réprimées dans le sang.

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Drapeau lituanien sous l’impérialisme soviétique (introduit en 1953) : l’un des symboles de l’identité culturelle lituanienne convertis à la marque communiste, tout comme le furent la presse et l’alphabet durant la Guerre Froide (Source: Wikimedia)

Lorsque la Première Guerre Mondiale éclate, les noms des acteurs ont changé, mais les forces en présence restent les mêmes. L’Allemagne, héritière de la Prusse, pousse le pays vers son indépendance – derrière ces nobles volontés se cache l’ambition d’en faire un état satellite – qui est actée en 1918. Après l’occupation allemande, c’est au tour des Soviétiques d’envahir Vilnius : les deux puissances s’écharpent pour sortir la Lituanie de son statut de pays-neutre pendant le second conflit mondial, qui rejoint bien malgré elle l’Union Soviétique en 1940. Il faudra tout juste un demi-siècle, et la chute de l’URSS, pour que la nation est-européenne retrouve son indépendance, héritant d’institutions fragiles et d’une mauvaise santé économique et sociale.

Dans ce contexte où envahisseurs et fauteurs de trouble se chassaient l’un l’autre, la Colline des Croix apparut comme un phare dans la nuit, garante de l’identité culturelle lituanienne que les influences étrangères menaçaient, bastion de résistance et d’indépendance. De 130 en 1900, le nombre de croix au sommet de Kryžių kalnas a grimpé à près de 400 quatre décennies plus tard. Témoignant du succès du site à tenir le moral des Lituaniens, les Russes le démolirent par trois fois et déployèrent de nombreux efforts pour évacuer les reliques, dénombrées à près de 55 000 au tournant du 21ème siècle. Aujourd’hui, ce chiffre a doublé, et parmi les legs des visiteurs à la Colline, on trouve même un crucifix en Lego !

Désormais, visiter ce lieu et y laisser un témoignage, c’est reconnaître ce combat pour la paix et la défense des cultures individuelles – des valeurs gagnées, pour les Lituaniens, au terme d’un véritable chemin de croix.

 


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