Qu’est-ce-que tu veux faire quand tu seras grand ? A cette question, un grand classique, des professions comme pilote d’avion, avocat ou docteur sont largement plébiscitées. Cependant on ne s’attend pas à ce que quelqu’un les poursuive toutes au cours d’une même carrière…
Né en 1948 à Bronxville (New York), Frank Abagnale Jr. a développé très tôt un goût pour l’escroquerie et l’argent facile dont il peinera à se débarrasser. A 15 ans, il saisit l’opportunité d’une arnaque lorsque son père lui confie sa carte Mobil pour payer ses dépenses aux comptoirs des stations-service. Frank décide alors d’acheter de nombreux articles pour sa voiture – une variété de pneus, de batteries et des gallons d’essence et d’huile – en les créditant sur la carte paternelle. Cependant, il ne les fait pas monter sur sa voiture mais les échange alors avec un employé de la station contre du liquide. Futé.
Après un temps, un représentant de Mobil décide d’aller à la rencontre de M. Abagnale Sr. : ce dernier, qui n’a jamais eu par le passé de défaut de paiement, a emmagasiné sur sa carte une facture de plusieurs milliers de dollars ! L’employé demande au père de Frank comment il a pu « remplacer ses pneus quatorze fois dans les derniers 60 jours, acheté vingt-deux batteries dans les derniers 90 » et lui conseille gentiment « d’échanger cette voiture contre une nouvelle ».
Frank apprend à voler
C’était la première arnaque d’une longue carrière dédiée aux larcins, aux fraudes et aux identités inventées. Abandonnant l’école, Frank quitte ses parents divorcés pour New York, où il nourrit vite l’ambition de devenir pilote pour la Pan American. Il se procure un uniforme en appelant le fournisseur officiel de la compagnie aérienne et se faisant passer pour un pilote qui l’a perdu ; il fabrique une fausse pièce d’identité dans une imprimerie locale qu’il complète avec le logo de la Pan Am, fraîchement décollé d’un avion miniature acheté dans un magasin de jouets.

C’est ainsi que commence sa carrière de pilote. Toutefois, il ne prend jamais les commandes : il profite d’une pratique en vigueur dans l’industrie aérienne connue sous le nom de « deadheading », qui permet à tout pilote ou co-pilote de monter à bord d’avions de ligne appartenant à d’autres flottes afin de se rendre à la destination où ils sont attendus. (Une telle pratique reposait surtout sur la confiance, une qualité qui manquait au jeune Frank, qui par ailleurs prétendait être dix ans plus âgé.)
On lui propose un jour les commandes de l’engin. « J’ai aussitôt mis le jet sur pilote automatique et espéré que le machin fonctionnerait, dira Frank, parce que je ne pouvais même pas faire voler un cerf-volant. » Quelques années et un million de kilomètres plus tard (environ 250 vols), Frank se trouve dans une situation très compliquée lorsqu’un agent du FBI vient questionner son identité. Il décide alors d’aller de l’avant et de prendre de la distance avec ses airs de pilote : il devint Frank Williams, pédiatre en vacances en Géorgie.
Quoi de neuf, docteur ?
Frank y mène une vie fêtarde jusqu’à la rencontre d’un voisin, pédiatre de métier, qui lui demande une faveur : un employé de l’hôpital étant absent pour plusieurs jours, Frank pourrait le remplacer en attendant son retour. Malgré son absence de diplôme, d’expérience et son horreur de la vue du sang, Frank accueille cette opportunité comme un nouveau challenge. Il accepte.

Son poste est avant tout un rôle de supervision, ce qui ne trahit pas sa mascarade : il n’a qu’à laisser les internes gérer les diagnostics et les traitements et hocher la tête pour signifier qu’il approuve leurs initiatives. (Les internes se montrent d’ailleurs très reconnaissants envers leur supérieur pour les laisser être « de vrais docteurs » alors que, ironiquement, Frank n’en est même pas un.)
L’arnaque fonctionne comme sur des roulettes jusqu’à ce qu’un jour, une infirmière affolée se présente dans le bureau du Dr. Williams, l’avertissant d’un cas de « bébé bleu » dans la chambre 608 exigeant une assistance médicale immédiate. Frank, qui passe le plus clair de son temps à faire des blagues pour couvrir ses traces, répond alors : « J’arrive tout de suite, dès que j’ai examiné le bébé vert dans la chambre voisine. »
En fait, le terme de « bébé bleu » signifie, en médecine, un nouveau-né qui manque d’oxygène. Arrivant sur les lieux, Frank réalise qu’un de ses internes a pris l’affaire en main et sorti l’enfant d’affaire ; néanmoins, choqué par cet épisode, il décide de raccrocher le stéthoscope et de se remettre en chemin. En quête d’une nouvelle métamorphose.
La fin du voyage
Il continue à frauder aux quatre coins des États-Unis, se faisant passer tour à tour pour un diplômé en droit d’Harvard (il réussit l’examen du barreau à la troisième tentative), un professeur de sociologie en Utah, et même un agent du FBI. Pour assurer son train de vie luxueux, il produit un certain nombre de chèques factices. Finalement capturé en 1969, il est emprisonné en France puis en Suède et aux États-Unis. Il a alors 21 ans.

Une échappatoire à sa peine de prison se présente alors, s’il accepte de collaborer avec les autorités du pays en matière de détection et de prévention de fraudes. Cela fait aujourd’hui plus de 40 ans que Frank travaille main dans la main avec le FBI. Il a même fondé sa propre compagnie, Abagnale & Associates, dans la même optique de faire profiter à d’autres de ses « talents ».
Bien entendu, depuis que le public a eu vent des aventures de Frank, la véracité de son histoire a souvent été mise en doute. Comme il l’admet lui-même, le livre qui la raconte a volontairement exagéré certains passages et n’a pas tenu à respecter l’exactitude propre aux biographies.
« J’ai pris un paquet de sorties par des portes dérobées, des issues de secours ou sur les toits. »
– FRANK ABAGNALE JR.
Interrogé sur ses actes passés, le champion de l’arnaque a bien montré qu’il avait mis au placard tous ses anciens costumes. « J’étais égoïste et égocentrique. On grandit tous un jour. […] Je considère mon passé immoral, malhonnête et illégal. Je n’en suis pas fier. »
Il met souvent en avant l’importance de sa propre famille – il a une femme et trois enfants – à le ramener dans le droit chemin, et insiste sur le fait qu’il en tire plus de bonheur que ses multiples escroqueries. Son fils aîné travaille par ailleurs pour le FBI. Laissez-moi deviner… Agent sous couverture ?