Arythmie Si Tu Peux

Dans les années 1950, les petites productions américaines d’horreur peinent à trouver leur public. Doué d’un sens aigu du marketing, le cinéaste William Castle va changer la donne… en assurant les spectateurs de ses films contre la crise cardiaque. Récit.

On l’appelait « le roi du gimmick », « l’Abominable Showman » ou « le parrain des films de série B ». Des titres de noblesse que William Castle, décédé en 1977, n’aurait sans doute pas contestés. A l’époque où il arpente les plateaux de tournage, le cinéma d’horreur américain est un art de débrouille animé par des acteurs semi-amateurs, des costumes improbables, et généralement des réalisateurs excentriques qui sacrifient leurs économies (et souvent leur réputation) à la conquête de leur propre Citizen Kane.

Au milieu des années 50, William Castle a déjà participé à une quarantaine de films à petit budget, essentiellement des films noirs et des westerns. C’est après avoir vu Les Diaboliques d’Henri-Georges Clouzot (1955) qu’il découvre sa vocation. « Je veux faire mourir de peur les Américains, décide-t-il. Quand le public a poussé ce dernier cri collectif, j’ai su que c’était là où je voulais l’emmener, mais je veux des cris plus forts, plus d’horreur, plus de frisson. » A l’époque, Hollywood se relève péniblement de la Grande Dépression et souffre de la concurrence de la télévision ; pour séduire, le cinéma américain doit se réinventer.

Peur sur la ville

Plutôt que d’investir massivement dans un script en béton ou des acteurs-stars, William Castle choisit d’innover sur la stratégie promotionnelle. Cela commence avec Macabre (1958). Filmé en 9 jours, ce thriller horrifique aurait pu sombrer dans l’indifférence générale (ce qui aurait fortement déplu à son réalisateur, qui a hypothéqué sa maison de Beverly Hills pour en couvrir le coût). Servi par un jeu d’acteur inégal, il s’avère finalement tiède et plutôt ringard. Dès l’introduction du film, la voix off donne le ton en s’adressant directement au public : « Au cours de la prochaine heure et quart, vous allez voir des choses si terrifiantes que la direction de ce cinéma est profondément inquiète pour votre bien-être. »

QUATRIÈME MUR. William Castle a l’habitude de briser la « suspension d’incrédulité » de ses spectateurs en apparaissant à l’écran, comme ici dans Homicidal (1961). Le secret de son génie est aussi de brouiller la frontière entre fiction et réalité… (Photo: Columbia Pictures via Wikimedia/Domaine public)

Une telle entrée en matière aurait de quoi faire sourire… si le réalisateur n’avait pas pris soin de contracter une authentique police d’assurance de 1 000$ pour chaque spectateur qui subirait une attaque cardiaque durant la projection ! Perfectionniste, Castle a même fait placer des infirmières dans les allées du cinéma, prêtes à intervenir en cas de besoin (le contrat exclut cependant toute personne avec des antécédents cardiaques). De fait, même si son film est assez oubliable, le bouche-à-oreille fonctionne : Macabre empoche deux millions de dollars pour un budget initial de 100 000$.

Balancé sous le feu des projecteurs, William Castle persiste et signe. Lors de la première de Macabre, le réalisateur fait une arrivée remarquée en émergeant… d’un cercueil loué pour l’occasion ! Dès lors, Castle va faire des gimmicks sa marque de fabrique. Dans The House on Haunted Hill (1958), il balade un squelette fluorescent de 4 mètres de haut dans les salles obscures. Dans The Tingler (1959), il fait équiper les sièges des spectateurs de vibrateurs qui s’activent durant les séquences les plus terrifiantes… Un procédé adapté à l’intrigue du film, qui met en scène des parasites vivant à l’intérieur du corps des protagonistes !

SUEURS FROIDES. Publicité pour le film Macabre (1958) éditée par un cinéma californien. Les années 1950-60 marquent l’âge d’or des cinémas drive-in américains, où l’on regarde un film directement depuis la banquette de sa voiture (le son est transmis par la radio). On appréciera la précision quant à l’horaire du film : STARTS AT DUSK. Commence à la tombée de la nuit…

La star des nanars

En fait, ce n’est pas tant l’adrénaline contenue dans ses films qui maintient le public en haleine, mais l’attente d’un élément perturbateur, d’une excentricité estampillée William Castle. Dans Homicidal (1961), par exemple, le showman n’hésite pas à humilier les peureux : son long-métrage inclut une « pause frayeur », sorte d’entracte durant laquelle les spectateurs ayant subi trop de palpitations sont invités à quitter la salle et à demander le remboursement de leur ticket… au risque de se voir invectiver de poules mouillées par les spectateurs qui auront eu le courage de rester jusqu’au bandeau The End.

Ainsi, en dépit de la médiocre qualité de ses productions, les lubies de Castle rafraîchiront le cinéma d’horreur américain, rajeuniront son public, et inspireront même des futurs réalisateurs-stars tels que Joe Dante et Robert Zemeckis. Le marketing viral qui accompagne aujourd’hui la sortie des gros blockbusters hollywoodiens doit un peu à la créativité du roi du gimmick, lui qui utilisait des effets spéciaux non pour rendre ses films plus réalistes, mais pour projeter son public au cœur du spectacle, brouillant la frontière entre fiction et réalité. Hélas, à la fin des années 60, le cinéaste quinquagénaire arrive déjà au bout de sa pellicule. « Les films d’horreur ont touché le fond » déclare-t-il, aigri, à son agent en 1967. Après avoir dévoré le roman Rosemary’s Baby, il décide de s’offrir les droits de l’adaptation en hypothéquant – encore – sa maison. Craignant que sa réputation de réalisateur de série B ne nuise à la réputation du film, toutefois, Paramount lui préfère un cinéaste plus jeune, remisant Castle dans un rôle de producteur exécutif. Le film sera un triomphe, faisant un carton au box-office et glanant deux nominations aux Oscars. Quelques années plus tard, en mai 1977, William Castle décède… d’une crise cardiaque.

Initialement publié sur Slate.fr


Bibliographie

  • Murray Leeder (ed.), ReFocus: The Films of William Castle, Edinburgh University Press, 2018.
  • Jason Zinoman, Shock Value: How a Few Eccentric Outsiders Gave Us Nightmares, Conquered Hollywood, and Invented Modern Horror, Penguin, 2011.
  • William Castle, Step Right Up! I’m Gonna Scare The Pants Off America, Putnam, 1976.
  • Nicolas Méra, Godzilla est né à Hiroshima : la vraie histoire des icônes de la pop culture, First, 2024.