L’Épopée Oubliée des Cow-Boys Noirs

Durant la conquête de l’Ouest américain, un cow-boy sur quatre était afro-américain. Une réalité blanchie par Hollywood.

Clint Eastwood, John Marston, Lucky Luke, John Wayne… La pop culture regorge de cow-boys caucasiens. Mâchonnant une cigarette sans filtre, ils trucident des Indiens hérissés de plumes ou dégainent sans ménagement sur des bandidos mexicains. Revisitée à la sauce Hollywood, la conquête de l’Ouest a pour têtes d’affiche des héros pâles et intrépides, et toutes les autres ethnies leur servent, au mieux, de serviteurs dociles, et au pire, de cibles.

Dans les faits, pourtant, le portrait-robot du cow-boy n’a rien du western spaghetti. Le bétail américain a été importé au Mexique par les vaqueros espagnols dès le XVIe siècle : les premiers cow-boys « officiels » de l’histoire états-unienne étaient donc hispaniques. Plus tard, s’épuisant dans les ranchs, menant des troupeaux sur des centaines de kilomètres ou domestiquant des chevaux sauvages à la force du lasso, entre 5 000 et 9 000 cow-boys (sur les 35 000 qui rôdent aux États-Unis entre 1866 et 1895) sont afro-américains. Soit près d’un quart des effectifs totaux.

Le souci du bétail

Qui sont-ils ? Pour beaucoup, d’anciens esclaves relâchés des plantations du Sud en 1865, dans la foulée de la Guerre de Sécession durant laquelle 200.000 soldats noirs se sont battus. Promulgué par Lincoln, le 13e Amendement signe l’émancipation de 3,5 millions d’Afro-Américains. S’ensuit un exode massif vers des États plus accueillants. En parallèle, à la faveur de nouvelles terres à exploiter et d’une demande croissante, l’industrie du bétail prospère, transformant des bourgades tranquilles en métropoles foisonnantes.

Or, cela fait plus d’un siècle que les esclaves noirs s’occupent du bétail de propriétaires blancs. Au Texas, en Louisiane, des milliers d’entre eux se sont spécialisés dans le dressage des chevaux et l’élevage bovin. Les néo-affranchis qui se refusent à retrouver un métier synonyme de servitude – opérateur d’ascenseur, domestique, livreur – ont l’opportunité de reconstruire leur vie en devenant garçons vachers, dompteurs de chevaux, cuisiniers, postiers, équipiers, conducteurs de chariots, ou même shérifs dans le Midwest. Les territoires encore vierges leur font miroiter une liberté et une prospérité qui leur ont toujours été refusées. Durant leur pèlerinage, à pied ou à cheval, vers ces terres promises, de nombreux Afro-Américains rêvent d’une terre, d’un salaire et d’une famille.

Bien entendu, s’ils désertent les propriétés du Sud et les ignobles champs de coton, ils s’engagent tout de même dans une vie de dur labeur. En selle entre 12 et 16 heures par jour, accablés par la chaleur désertique et les pluies torrentielles, les cow-boys doivent se méfier des bêtes sauvages comme des escapades indiennes. Le soir, ils dorment à la belle étoile au milieu des serpents à sonnette, des coyotes et des ours. Et si les vachers de toutes ethnies partagent les mêmes périls, et donc une fraternité qui leur était inconnue jusqu’alors, ils restent sujets à la discrimination. Dans le contexte des lois Jim Crow, il leur est parfois prohibé de séjourner dans certains hôtels ou de s’assoir dans des restaurants blancs…

INDÉSIRABLES. Des cow-boys noirs à Bonham, Texas, vers 1913. (Credit: Texas State Historical Association via Wikimedia Commons. Domaine public)

Opération blanchissage

Mais la pire insulte qui sera faite à leur mémoire viendra après l’âge d’or des cow-boys. La plupart sont descendus de cheval au tournant du XXe siècle : on a inventé le fil barbelé, permettant de clôturer les animaux, et on a parqué les autochtones survivants dans des réserves. Les rares vachers qui maintiennent leur ancien style de vie le font dans des représentations théâtralisées comme les spectacles de rodéo. Peu à peu, la conquête de l’Ouest se mue en mythe fondateur de l’identité américaine, immortalisé par des livres, des séries télévisées et des films qui s’éloignent de plus en plus de la réalité historique. Le cow-boy aventureux, sorte de self-made man avant l’heure, est campé par des personnalités blanches. Ainsi Lone Ranger, l’un des justiciers les plus célèbres du petit écran, est-il joué par un acteur blanc… On dit pourtant qu’il serait inspiré de Bass Reeves, un marshal noir qui effectua plus de 4.000 arrestations dans le dernier quart du XIXe siècle !

Au-delà du whitewashing en vigueur à Hollywood jusqu’aux années 60, l’effacement des Afro-Américains de l’histoire de l’Ouest est aussi lié à leur condition sociale. Pour la plupart des cow-boys noirs, issus de familles d’esclaves analphabètes, il était en effet bien plus difficile de coucher leur histoire sur le papier… Raison pour laquelle on privilégiera longtemps les aventures de pistoleros blancs aux biographies abondantes. Mais il est un héritage qu’on ne leur enlèvera pas : le nom cow-boy était encore en 1860 une injure qui leur était destinée ! Les Blancs qui exploitaient le bétail lui préféraient les termes « cowhand » ou « cow puncher », plus virils et moins infantilisants. Aujourd’hui, le cow-boy s’est imposé dans la pop culture. A quand la démocratisation des cow-boys noirs ?

Initialement publié sur Slate.fr


Bibliographie