Le Fiasco Olympique Des Jeux de Paris 1900

Au programme : pêche à la ligne, vol en aérostat et tir aux pigeons (vivants). Retour sur une compétition bâclée qui a pris, pour les athlètes, la forme d’une séance de torture…

Les Olympiades qui se sont tenues à Paris du 14 mai au 28 octobre 1900 n’avaient pas la visibilité des compétitions actuelles. Il s’agit seulement de la seconde édition « moderne » des J.O. après ceux d’Athènes, disputés quatre ans plus tôt. Pas de défilé, pas de flamme, pas de cérémonie d’ouverture en grande pompe – pour tout dire, le label olympique n’est même pas mis en avant. Les organisateurs parlent de « concours internationaux d’exercices physiques et de sports ». D’ailleurs, la plupart des athlètes récompensés ignoreront qu’ils ont été couronnés champions olympiques.

LE BILAN D’UN SIÈCLE. Très attendue, l’Exposition Universelle de Paris, qui se chevauche avec l’ouverture des Olympiades de 1900, s’étend sur 112 hectares au cœur de la capitale. L’événement coïncide également avec l’ouverture de la première ligne de métro à Paris, reliant la Porte de Vincennes à la Porte Maillot. (Credit: Bibliothèque du Congrès américain, ppmsca.15645/Domaine public)

Pour l’occasion, le baron Pierre de Coubertin a vu les choses en grand : il fait coïncider l’ouverture des jeux avec celle de l’Exposition Universelle de Paris afin de maximiser le retentissement des deux événements. La dernière Exposition sur le sol français, en 1886, avait vu l’inauguration de la Tour Eiffel. Celle de 1900 vante les fastes de la Belle Époque, présentant à cinquante millions de visiteurs le cinéma des frères Lumière, un prototype révolutionnaire de « trottoir mécanique » (on l’appelle aujourd’hui escalator) ainsi qu’un zoo humain peuplé de Malgaches. La capitale est en effervescence. « Jamais et nulle part on n’a réuni autant de curiosités, de merveilles, d’attractions de toute nature, de spectacles éblouissants et somptueux » s’enthousiasme Le Petit Journal du 19 août 1900.

Le grand bazar

En parallèle, des milliers d’athlètes – amateurs pour la plupart – se rendent à Paris pour participer aux compétitions. Parmi eux, des femmes. Même si elles ne représentent qu’une petite minorité, leur inclusion est une nouveauté rafraîchissante… qui ne plaît pas à tout le monde. Pierre de Coubertin déclarera plus tard : « Quant à la participation des femmes aux Jeux, j’y demeure hostile. C’est contre mon gré qu’elles ont été admises à un nombre grandissant d’épreuves. » Elles s’immiscent néanmoins dans une poignée de compétitions comme le golf, le tennis et l’équitation. Toutes les épreuves, cependant, ne sont pas reconnues comme des disciplines olympiques officielles : parmi les plus farfelues, on trouve un concours de vol en ballon, une compétition de croquet, une course de natation avec obstacles, une épreuve de lancer de pierres, une course à l’âne, un tournoi de pêche à la ligne… L’organisation s’éparpille : l’édition précédente, à Athènes, s’était contentée de neuf sports !

Ce manque de préparation, couplé à l’amateurisme de la plupart des participants, entraîne de nombreuses sorties de route. « On a eu cependant à déplorer plusieurs entraves dans la mise à exécution des programmes » regrette un journaliste de La Vie au Grand Air dans l’édition du 6 mai. Un euphémisme qui dissimule de nombreux ratés… Le vainqueur de la compétition de vol en ballon est atterri près de Kiev, tandis que les épreuves de natation sur la Seine sont paralysées par le trafic fluvial, qui n’a pas été interrompu. Le marathon est disputé sous une chaleur accablante – 40°C à l’ombre – et le concours de pêche, tenu sur l’Île aux Cygnes, est gâché par une nappe de pollution qui fait fuir les poissons !

Le sport à l’heure militaire

Force est de constater, enfin, que le programme des Olympiades de 1900 fait la part belle aux épreuves militaires. Peut-être parce que la France, déconfite par les Prussiens en 1870, tente de redorer son prestige national ? Dans les écoles tricolores, on compte sur l’éducation physique pour former de bons soldats… C’est ainsi qu’on observe des concours de sauvetage (premiers soins, manœuvre de pompes à incendie, sauvetage sur la Seine) ainsi qu’un certain nombre d’épreuves de tir. Tir au fusil, tir au pistolet de duel, tir au revolver, tir au sanglier… et même un épreuve de tir au canon !

A VOS MARQUES… FEU ! Dans le cadre de la compétition de tir au canon, les spectateurs ont été évacués pour ne pas risquer un carnage. Dans le cadre de l’épreuve individuelle, les participants devaient toucher quatre fois une cible située à 60 mètres de distances ! (Photo: La Vie au Grand Air, 4 août 1900/Domaine public)

Le Belge Léon de Lunden remporte, pour sa part, l’épreuve de tir aux pigeons en abattant 21 volatiles. Il ne s’agit pas de pigeons d’argile, mais d’animaux vivants dont les carcasses déplumées transforment le bois de Vincennes en charnier à ciel ouvert. « Les oiseaux estropiés se tordaient sur le sol, le sang et les plumes tourbillonnaient en l’air, et les femmes assises à côté sous leurs ombrelles étaient en pleurs » rapportent les journaux d’époque. On l’aura compris : l’originalité des épreuves et l’éclat de l’Exposition Universelle ne suffisent pas à faire des IIe Olympiades une réussite. C’est surtout un gouffre financier, puisque les récompenses allouées – jusqu’à 5.000 francs par vainqueur – cannibalisent le budget olympique. On déplore également le manque de spectateurs payants : seulement un Anglais aurait payé sa place pour assister au tournoi de croquet…

Seule consolation : à l’issue des épreuves, la France occupe la première place du tableau des médailles, devançant les États-Unis et la Grande-Bretagne avec 102 médailles dont 27 titres. Certes, les athlètes français sont largement majoritaires dans le contingent olympique, représentant 70% des inscrits… Il n’empêche que cette performance historique ne sera jamais rééditée.

Initialement publié sur Slate.fr


Bibliographie

Cover picture: FUZZY HURDLES. Design: The Storyteller’s Hat. Original via Wikipedia/Domaine public.