La Chasse Aux Reliques, Un Commerce Peu Catholique

Au Moyen Âge, les reliques sont des artéfacts très convoités. Capables d’éloigner le mauvais œil ou d’attirer la bonne fortune, elles suscitent un engouement frénétique et généralisé. Pas étonnant que certains individus sans scrupules aient souhaité en tirer profit…

Les religions du Livre ont toutes, à un moment ou à un autre, encouragé le culte des reliques. Bijoux, cheveux, étoffes, ossements, sandales, dents… Même la poussière arrachée au tombeau d’un saint a pu faire affaire de relique. On la boit d’ailleurs en infusion, mêlée à de l’eau, aux XIe et XIIe siècles. Quelles propriétés associe-t-on alors à ces objets sacrés ? Le pouvoir d’enrayer les épidémies, de tempérer les famines, de mettre fin aux conflits, entre autres miracles. Et cela suffit à lancer une mode qui ne s’essoufflera pas avant plusieurs siècles…

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Au XIIe siècle, « l’eau de Saint Thomas » (aussi appelée « eau de Canterbury ») est produite en diluant le sang de feu l’archevêque Thomas Becket dans de l’eau. Conservé dans des fioles, ce breuvage sacré était ensuite appliqué sur le corps ou ingéré en vertu d’obscures propriétés thérapeutiques. (Photo: Vitrail de la cathédrale de Coutances, Wikipedia/CC BY-SA 3.0)

Tous ses os dans le même panier

Le culte des reliques saintes semble apparaître en Europe dès l’Antiquité gréco-romaine, vers le IIe siècle. Très vite, l’obsession devient si forte que l’empereur Théodose II (438) doit statuer pour empêcher la profanation de sépultures sacrées. On pense à l’époque, selon les mots de l’évêque Théodoret de Cyr, que « si divisé et dispersé que soit le corps des martyrs, la grâce est tout entière attachée au moindre fragment » : les squelettes saints sont morcelés et disséminés, et la moindre phalange s’arrache à prix d’or… Le vol est alors fréquent, et les décrets impériaux ne découragent pas la tendance. Au contraire, celle-ci va se ritualiser à mesure que la Chrétienté s’étendra dans l’Europe médiévale.

Inutile de préciser que le lent sommeil des catacombes est régulièrement troublé par les pillards. Ces derniers font parfois usage de ruses spectaculaires : ainsi deux marchands vénitiens du IXe siècle, ayant subtilisé la dépouille de Saint Marc, doivent quitter la ville d’Alexandrie, occupée par les Sarrasins, avec leur drôle de butin… Ils décident donc de camoufler la dépouille sous plusieurs kilos de viande de porc afin de décourager les fouilles ! Par ailleurs, en raison d’un manque évident de traçabilité, d’autres marchands peu scrupuleux n’hésitent pas à vendre de fausses reliques. On recense ainsi vingt-neuf endroits exhibant les clous de la Sainte Croix, alors que les récits bibliques en mentionnent seulement quatre. Enfin, que dire des douze crânes de Saint Jean-Baptiste, vénérés en plusieurs endroits du continent ?

Les reliques les plus célèbres

Les rois chassent les trésors

Passé l’an mille, les ossements des saints sont enfermés dans des reliquaires placés à la vue de tous, au cœur des églises, et font l’objet d’exhibitions. « Les évêques et les abbés commencèrent à réunir le peuple en des assemblées auxquelles on apporta de nombreux corps saints et des châsses remplies de reliques » écrit Raoul Glauber, moine de Cluny, au crépuscule du premier millénaire. Mises en avant lors de processions, les reliques deviennent essentielles ; pour s’assurer une sacrée visibilité, les églises sont bâties sur d’anciens cimetières afin que les chantiers exhument de nouveaux ossements. Même les clercs s’en donnent à cœur joie : malgré leur vœu de pauvreté, ils monnayent leurs pèlerinages contre des ossements blanchis…

Les puissants n’échappent pas à la règle. Papes, monarques et princes font à prix d’or l’acquisition de reliques à l’authenticité douteuse. Ils le payent également en vies humaines : en 1204, le sac de Constantinople, « capitale des reliques », permet aux Croisés de récupérer quelques gouttes du sang du Christ, un bras de saint Georges, ainsi qu’un fragment de tête de saint Jean-Baptiste. Quant aux rois thaumaturges, ils revêtent des colliers, reliquaires miniatures en forme de talismans, qui garantissent leurs pouvoirs de guérison : parmi les souverains français, Louis IX fut sans aucun doute le plus grand chasseur de trésors. Extrêmement pieux (il avait l’habitude de se faire flageller et priait huit heures par jour), Saint Louis profite de la faillite de l’empereur de Constantinople Baudouin II en 1229 pour lui acheter « les reliques de la Passion ». La couronne d’épines, un fragment de la croix et de la lance, et d’autres artéfacts christiques rejoignent en grande pompe le royaume de France.

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« Je préfèrerais vous voir mort à mes pieds plutôt que de vous voir commettre un seul péché mortel » aurait averti sa mère, Blanche de Castille, au jeune Saint Louis… L’origine d’une piété qui marquera durablement son règne et son implication dans les deux dernières croisades de la Chrétienté.

A vendre : Esprit saint, bon état

Au début du XVIe siècle, la Réforme balaye le culte des reliques, d’abord parce que cette pensée nouvelle bannit l’idolâtrie – autrement dit, l’adoration des images saintes. Henry VIII, impressionnant roi d’Angleterre, interdit le trafic de rosaires et la vénération des images, et lance ses « chasseurs de prêtres » aux trousses des ecclésiastiques, qui trouvent secrètement refuge dans les manoirs des lords, au nord du pays. En France également, les sermons de Jean Calvin résonnent : le théologien invite les souverains d’Europe à recenser le nombre de reliques qu’ils vénèrent… Son manifeste, censuré en 1543, ironise notamment au sujet du culte du lait de la Vierge Marie, extrêmement répandu : « tant y a que si la sainte Vierge eût été une vache et qu’elle eût été nourrice toute sa vie, à grand’peine en eût-elle pu rendre telle quantité ».

Malgré le vent de changement qui souffle dans l’Europe du XVIe siècle, les reliques saintes continuent de faire l’objet d’exhibitions populaires ou de vols spectaculaires. Convoqué par le pape Paul III (qui excommuniera ensuite Henry VIII), le Concile des Trente les réhabilite dans la foulée de la Réforme : « les corps des martyrs et des autres saints […] doivent donc être vénérés par les fidèles, car Dieu accorde par eux de nombreux bienfaits aux hommes ». La Révolution Française, abreuvée de laïcité, les détruit en place publique ; Philippe Rühl, député à la Convention Nationale, brise la Sainte Ampoule (qui aurait contenu l’huile du baptême de Clovis) en octobre 1793 !

PILLAGE D'UNE EGLISE PENDANT LA REVOLUTION
Églises pillées ou détruites, reliques profanées, clergé martyrisé… La Révolution Française a célébré brutalement son divorce avec le clergé. (Peinture: Jean-François Swebach-Desfontaines, Pillage d’une église pendant la Révolution, Paris, musée Carnavalet.)

Mais ce juteux commerce n’a pas fini, aujourd’hui encore, de faire des heureux… Grâce également à quelques crédules qui, aveuglés par ce fétichisme sacré, se sont laissés berner par des marchands offrant un doigt du Saint Esprit, un souffle de Jésus en bouteille, ou des brindilles du Buisson Ardent. Peut-être doit-on en revenir à cette sage phrase d’Alcuin, conseiller de Charlemagne qui affirma dès le VIIIe siècle : « il vaut mieux imiter en son cœur les exemples des saints que de porter leurs ossements pendus à son cou ».


Bibliographie