Petites Astuces de Sabotage à l’Usage des Novices

Récemment déclassifié par la CIA, un manuel de sabotage allié de 1944 livre quelques conseils à destination des saboteurs en herbe. Des leçons de désobéissance civile qui gagnent à être connues…

Comment résister quand on n’a pas l’étoffe d’un héros ? C’est une question que de nombreux civils ont dû se poser dans l’Europe des années 1940, qui résonne du pas cadencé des armées nazies. L’Autriche, la Tchécoslovaquie, la Pologne, la Norvège, le Danemark, les Pays-Bas, la Belgique et la France sont tombés comme des dominos. Comment vivre sous la botte de l’occupant ? Comment lutter sans risquer sa vie, perdre son job, ou compromettre la sécurité de sa famille ? Confrontés à ce dilemme, de nombreux citoyens ordinaires ont préféré faire profil bas, se contentant d’actions de désobéissance discrète : taguer Hitler Kaputt sur les murs, détruire des lettres de dénonciation, passer des tracts clandestins. Malgré un mythe tenace de l’après-guerre, qui partage le gros des populations entre résistants de la première heure et collabos infâmes, la majorité des individus lambda est restée silencieuse, serrant les dents en attendant des jours meilleurs.

C’est précisément cette frange de la population que l’Office of Strategic Services (OSS), agence de renseignement américaine qui deviendra la CIA, a tenté de rallier à sa cause en janvier 1944. Consciente que les petits actes de sabotage seront décisifs en cette période cruciale, elle distribue un Manuel de sabotage simple sur le terrain (Simple Sabotage Field Manual) destiné aux citoyens ordinaires. « Le sabotage simple ne nécessite pas d’outils ou d’équipements spécialement préparés, promet l’introduction ; il est exécuté de manière à minimiser les risques de blessure, de détection et de représailles. »

Désobéissance, mode d’emploi

Diffusé par extraits à la radio, distribué sous le manteau, le manuel s’attarde dans les cafés, les arrière-cuisines, les cachettes clandestines à travers l’Europe occupée. Avec le Débarquement allié qui se prépare, les contributions les plus dérisoires pourraient emporter la victoire. « Les actes de sabotage simples, multipliés par des milliers de citoyens-saboteurs, peuvent constituer une arme efficace contre l’ennemi, détaille le manuel. Crever des pneus, vider des réservoirs de carburant, allumer des feux, déclencher des disputes, court-circuiter des systèmes électriques, c’est gaspiller des matériaux, de la main d’œuvre et du temps. »

HÉROS DE L’OMBRE. Assemblés dans les maquis, souvent des territoires ruraux et montagneux (comme ici dans les Hautes-Alpes), les résistants ont joué un rôle crucial dans la perturbation et la dispersion des forces de l’occupant. (Photo: UK Gov/Domaine public)

Le manuel de l’OSS s’adresse avant tout au personnel des usines et des administrations sous contrôle de l’occupant. Employés de bureau, secrétaires, manutentionnaires, ouvriers, techniciens, et jusqu’aux responsables du nettoyage peuvent saborder les capacités de l’ennemi sur leur lieu de travail. Seuls quelques accessoires rudimentaires – une allumette, un caillou, une pièce de monnaie, une lime à ongles – sont nécessaires. Afin d’éviter la détection, cependant, « essayez de commettre des actes dont un grand nombre de personnes pourraient être responsables » recommande le texte récemment déclassifié. S’ensuit une longue liste d’actions susceptibles d’ébranler le moral de l’ennemi ou de disperser ses ressources, assorties d’un mode d’emploi précis. Comment démarrer un incendie à retardement dans un entrepôt ? Il suffit d’enrouler une bande de papier de quelques centimètres à la base d’une bougie, elle-même posée sur un tas de matériaux inflammables. Comment mettre un véhicule militaire en panne ? En introduisant du sucre dans le réservoir à hauteur de 100g pour 40 litres de carburant. Comment mettre une porte hors d’usage ? En coinçant des épingles à cheveux et du papier dans les serrures…

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Des conseils qui font honneur aux négligents et aux procrastinateurs : les meilleurs saboteurs, poursuit l’OSS, sont ceux qui bâclent leur travail. « Travaillez lentement. Réfléchissez aux moyens d’augmenter le nombre de mouvements nécessaires à votre travail : utilisez un marteau léger au lieu d’un marteau lourd, essayez de faire fonctionner une petite clé alors qu’une grande est nécessaire, utilisez peu de force là où une force considérable est nécessaire. » En effet, des erreurs d’inattention seront plus facilement excusables qu’une tentative de sabotage avortée !

Le livre de chevet de l’Amérique

Les conseils s’appliquent aussi en dehors du temps de travail. « Gênez les affaires officielles et surtout militaires en téléphonant au moins une fois par jour à un quartier général de l’ennemi », recommande le manuel. Dans les administrations, « remplissez les formulaires de manière illisible afin qu’ils soient à refaire ». Au cinéma, interrompez les films de propagande en introduisant dans la salle quelques papillons de nuit : « ils s’envoleront et grimperont dans le faisceau du projecteur, de sorte que le film sera obscurci par des ombres vacillantes ».

Éprouvées par les citoyens captifs du Troisième Reich dans les années 1940, ces astuces de désobéissance civile ont repris le chemin de l’actualité. Car le Manuel de sabotage est devenu depuis l’investiture de Donald Trump, début 2025, l’ebook le plus téléchargé sur la plateforme du Projet Gutenberg… Coïncidence ? Désormais, si vous passez une éternité dans une file d’attente, qu’un de vos appels est mystérieusement coupé ou qu’un voisin malpoli perturbe votre séance de cinéma, ne vous offusquez pas : ce sont peut-être les premiers symptômes d’une révolution qui frémit.

Initialement publié sur Slate.fr


Bibliographie