Petites Astuces de Mode Sous l’Occupation

En France occupée, la pénurie de matières premières contraint la population à improviser. En découle une mode « débrouille » qui survivra à la guerre.

« La France s’ennuyait, l’Occupation lui fournit de la distraction. A Paris tout est une question de mode ; en ce moment, c’est la mode de l’Allemagne » ironise Andrzej Bobkowski en mars 1942. L’écrivain polonais, bloqué à la capitale, s’amuse des styles changeants qui habillent la capitale. Sous la botte nazie, le principal changement, c’est l’étoile jaune qui s’épingle sur la poitrine des Juifs : un insigne infamant, mais que certains arborent avec fierté, prenant à contre-pied l’humiliation qu’on veut leur faire subir. « Si je le porte, je veux toujours être très élégante et très digne, pour que les gens voient ce que c’est » écrit Hélène Berr, une jeune étudiante alsacienne.

Fashion victimes

En période de guerre, le style est souvent considéré comme une fantaisie que l’on remise au placard. La mode est à l’uniforme, et pour les civils, l’essentiel est ailleurs : trouver de la nourriture et du bois de chauffage, se mettre en sécurité loin des pilonnages d’artillerie – en un mot, survivre. Pour autant, la mode ne s’efface pas du théâtre de la guerre. Hugo Boss a confectionné les uniformes des SS et des Jeunesses Hitlériennes ; l’Occupation est une occasion en or, pour le Reich, de contester la suprématie française dans le domaine. Les grandes maisons juives, chevilles ouvrières de la haute couture, sont « aryanisées » et les ateliers de couture perquisitionnés en vue d’en tirer quelques secrets de fabrication.

DES DÉFILÉS DE MODE AUX DÉFILÉS MILITAIRES. A Berlin, l’escalier du métro de la place Hausvogteiplatz commémore les grands noms de l’industrie de la mode allemande des années 1930 : autant de vénérables maisons juives accaparées par les Nazis. Certaines enseignes plus « patriotes », comme Hugo Boss, sont allées jusqu’à déplacer leurs ateliers dans les ghettos et les camps de concentration du Reich. (Credit: Yad Vashem)

Mais la population ne l’entend pas de cette oreille. Dès 1940 et le coup de massue de l’Occupation, les Françaises vont faire de l’élégance une priorité – et même un instrument de résistance. Loin d’être capricieuse, la coquetterie est un trésor national : l’entretenir, c’est aussi se montrer digne malgré les flétrissures de la capitulation, dresser des palissades d’orgueil face aux contraintes du rationnement. Car celui-ci ne touche pas que la nourriture : cuir, soie, coton, laine se raréfient jusqu’à l’évanescence. Pire encore, les conditions de l’armistice ont contraint les industries du pays à fournir 300 000 tonnes de textiles à l’occupant ainsi que 6 millions de paires de chaussures.

Du fil à retordre

Face à cette pénurie, les Françaises restées au pays sont contraintes d’innover. On recycle de vieux vêtements, on se taille des robes dans des rideaux, on défiloche de vieux pulls pour en tricoter de nouveaux. Le DIY a la cote : tailleurs cousus main, chemises en étoffe de parachute, bottes en fourrure de lapin, semelles de corde ou de bois… « On prenait un vêtement déjà usagé qu’on avait porté beaucoup, on le décousait complètement et on le refaisait en mettant ce qui était à l’intérieur à l’extérieur, se souvient Jeannette Ruplinger. On le retournait et on avait un vêtement propre, net et pas trop usé, cela ne se voyait pas. »

Les magazines féminins suivent le mouvement, distillant des conseils pratiques et des photos de garde-robes entièrement reprisées. Le périodique Marie-Claire mise sur la débrouille : « Habiller coquettement bébé est le rêve de toutes les mamans. Pourquoi n’utiliseraient-elles pas les tissus les plus jolis de leur propre garde-robe ? Nous savons qu’elles sacrifieront volontiers à son profit les quelques splendeurs qui peuvent leur rester » peut-on y lire en avril 1944. Publiant des patrons de tricot et des astuces de couture, le magazine met en avant une mode discrète et pratique, moins tape-à-l’œil qu’avant-guerre.

DES HAUTS ET DES BAS. Les « bas liquides » sont l’expression la plus évidente de cette mode DIY, particulièrement visible outre-Atlantique, où l’on se dessine des bas à l’eyeliner ou on les couvre d’une crème qui leur donne l’apparence de la soie. (Credit: Smithsonian Magazine)

Créateurs et créatrices de mode s’approprient cette tendance : « il faut s’adapter aux circonstances actuelles en créant du simple qui soit très beau » assume la grande couturière Jeanne Lanvin. Faute de tissu, les jupes deviennent plus courtes, s’arrêtant au-dessus de la ligne des genoux, débarrassée de plis et de froufrous superflus. Privées de bas de soie, les Françaises adoptent les fibres synthétiques, comme la rayonne ou la fibranne… Certaines se contentent de tracer un trait d’eyeliner derrière leur mollet pour simuler la couture du bas, voire de se peindre les jambes – ce sont les « bas liquides » – pour donner le change !

L’étoffe des héros

Les créations qui naissent de cette période, vêtements anonymes de jours noirs, servent également à renforcer le moral des troupes. « Elles prouveront, en même temps, l’ingéniosité et le goût français, l’habileté de nos ouvrières et celles de toutes les femmes qui sauront exécuter elles-mêmes ces chatoyants travaux et s’inspirer d’une mode restée admirablement vivante en dépit de notre si difficile époque » s’enthousiasme Le Journal en novembre 1941. L’orgueil national est sauf.

Parfois, le style camoufle même de petits actes de rébellion. Le tissu écossais à carreaux est adopté afin de soutenir clandestinement les alliés britanniques, tandis que les couleurs nationales s’affichent discrètement par l’intermédiaire de boutons bleu, blanc et rouge ou de pendentifs ornés d’un coq. Le vêtement signale, sous les plis du tissu, que les Françaises sont prêtes à en découdre. Quant au sac à main, il se réinvente en bandoulière afin de le porter à bicyclette : certains sont dotés d’un compartiment pour masque à gaz ou d’un double-fond dissimulant armes de poing ou faux-papiers !

ÉLÉGANCE À LA FRANÇAISE. Le 27 juin 1944, de jolies Françaises offrent des fleurs à un officier américain après la libération de Cherbourg, dans la Manche. L’occasion de se mettre sur son 31… (Credit: Collection DITE-USIS / Photo12.com via AFP)

Finalement, l’Occupation a été le théâtre de deux modes parallèles. Celle de la collaboration avec le Reich, embrayée notamment par la maison Révillon qui offre ses fourrures aux épouses des dirigeants nazis ou par Coco Chanel, qui espionne pour (et partage le lit de) l’occupant. Mais aussi une mode « débrouille », signature d’une période où les Françaises ont résisté par l’élégance sobre des silhouettes simples. Tout un symbole : en 1947, lorsque Édith Piaf vient célébrer les beaux jours retrouvés de la Libération en chantant « la Vie en Rose », elle ne porte rien qu’une petite robe noire…

Initialement publié sur Slate.fr


Bibliographie