Pendant la Première Guerre mondiale, les recrues britanniques mesurant moins d’un mètre soixante furent enrôlées dans des bataillons spéciaux, dits « bantam ». Récit d’une drôle de guerre.
Birkenhead, Angleterre, été 1914. En réponse aux premiers échos de la guerre, la mobilisation générale a été décrétée. A la différence des politiques en vigueur en France ou en Allemagne, la conscription anglaise s’effectue sur le mode du volontariat : cela n’empêche pas 750 000 soldats de s’engager en l’espace de huit semaines. Des queues invraisemblables s’allongent devant les comptoirs de recrutement, serpentant le long à travers les places de village, les stades ou les églises.
La taille et la bataille
Une fois son tour venu, chacun doit se soumettre à une batterie de tests physiques et psychologiques avant de recevoir son affectation. Parmi les critères de sélection, la taille joue un rôle important. Le règlement militaire stipule que tout individu mesurant moins de 5 pieds et 3 pouces (soit 160 centimètres) n’a pas le droit de servir sous les drapeaux. A une époque où la taille moyenne des Anglais tutoie le mètre soixante-dix, il va sans dire qu’une telle règle laisse beaucoup de bonnes volontés sur le carreau ! C’est ce que va constater Alfred Bigland, représentant parlementaire de la ville industrielle de Birkenhead, à deux pas de Liverpool.

Bigland a entendu, de la bouche d’un témoin, l’histoire d’un volontaire peu ordinaire. Un mineur de charbon originaire de Durham aurait été recalé par tous les officiers de recrutement du pays, ou presque, échouant finalement à Birkenhead. Là, il aurait mis au défi un habitant, quelle que soit sa taille, à se battre contre lui afin de prouver sa valeur au combat. On dit qu’il en serait venu aux mains avec six personnes avant d’être escorté hors de la ville…
Chaviré par la fièvre patriotique du petit homme, Bigland écrit aussitôt au Ministère de la Guerre britannique afin d’exiger que les personnes de taille « irrégulière » aient la possibilité s’engager dans des régiments adaptés. Quelques jours plus tard, Lord Kitchener lui donne le feu vert. Face aux journalistes, Bigland est rayonnant : « [Les nouvelles recrues] compensent en largeur ce qu’elles n’ont pas en taille ; si elles sont petites, elles sont aussi robustes. Dans cette guerre de tranchées où les petites cibles ont moins de chances d’être touchées, cette option est préférable […]. Après tout, certains des plus grands combattants au monde étaient de petite taille : Alexandre, Napoléon, Wellington et Roberts, aucun d’entre eux n’aurait atteint les standards requis par l’armée britannique. »
Dans la cour des grands
A Birkenhead, où la taille minimale vient de perdre quelques pouces (atteignant 147 centimètres), les volontaires affluent de tout le pays. Des mineurs de fond à la gueule noire, des ouvriers des chantiers navals aux muscles saillants, entre autres recrues gonflées à bloc : en quelques jours, 3.000 recrues sont incorporées aux 15e et 16e bataillons du Régiment Cheshire. « Le petit effort que j’ai effectué au début de la guerre a été bien récompensé, se félicite Bigland le 20 février 1915, puisque l’exemple a été suivi non seulement à Birkenhead, mais aussi à Bury, Manchester, Leeds et en d’autres endroits. »
Faisant la fierté de Birkenhead, les nouvelles recrues sont bientôt baptisées « bantam » en référence à la catégorie légère de boxe de l’époque (en anglais, bantamweight se traduit par « poids coqs »). L’animal deviendra d’ailleurs l’emblème de l’unité. Et le phénomène galvanise toutes les îles britanniques, assistant à la levée de 29 régiments – dont une division canadienne – et portant le total des « bantam » dans les effectifs de la Grande Guerre à près de 30 000 soldats.

Du reste, leur petite taille n’est pas un prétexte à les ménager. Après une formation expresse, les divisions bantam débarquent en France au début de l’année 1916. Elles participent à certaines des batailles les plus féroces de la Grande Guerre : la tristement célèbre bataille d’Arras (150 000 pertes alliées), au printemps 1917, puis l’assaut sur Cambrai à la fin de l’année (45 000 morts ou blessés). Les coqs y laissent des plumes. Essuyant de lourdes pertes, les bantam sont peu à peu incorporés aux divisions traditionnelles de l’armée britannique, où on leur trouve des rôles à leur mesure : opérateurs de chars d’assaut, creuseurs de tunnels… prouvant, une fois encore, que le courage n’est pas une affaire de centimètres.
Initialement publié sur Slate.fr
Bibliographie
- Stephen McGreal, The Cheshire Bantams, Pen & Sword, 2006.
- Arthur Crookenden, The History of the Cheshire Regiment in the Great War, Andrew UK, 2012.
- Ben Johnson, “The Bantam Battalions of World War One”, Historic UK.
- Tom de Castella, “Bantams: The army units for those under 5ft 3in”, BBC Magazine, 9 février 2015.
